Le dossier
Boris Vian

Le jazz

Blues pour le Bison Ravi
Par Alain Tercinet

Boris Vian découvre très tôt le jazz. Aux accents de la trompette bouchée de Duke Ellington, c'est tout un monde qui s'offre à son exploration tout azimut.

Sans le jazz la vie serait une erreur…

C’est à treize ou quatorze ans que Boris Vian mit l’oreille dans l’engrenage, comme en témoigne cette note trouvée dans ses archives : « Rappel première impression jazz : trompette bouchée Ellington vers 1934/351» Avec ses retombées inéluctables : achat régulier de Jazz Hot depuis le numéro 1, inscription en 1937 au Hot Club de France pour y écouter disque sur disque, assiduité aux concerts, dont celui donné par Duke Ellington le 3 avril 1939 au palais de Chaillot. Accessoirement, en bon prosélyte, il commença à souffler dans une trompette. Entré en jazz, Boris Vian n’en sortira jamais. Un champ d’action où il entendait bien ne pas se comporter en touriste mais en investigateur, quels que soient les efforts qu’une telle résolution entraînait à l’époque. Tout ou presque restait à découvrir. Lorsque, plus tard, Boris se moque quelque peu des collectionneurs, ce n’est, au fond, qu’une forme d’autocritique. N’avait-il pas lui-même traqué le disque rare par-delà les continents ? Tout spécialement ceux de son idole, Ellington : amoureusement classée, rangée, préservée, sa collection de 78 tours du Duke n’avait guère d’égale. Charles Delaunay, alors secrétaire général du Hot Club de France, personnage incontournable dès que l’on parle de Boris Vian et du jazz, écrivit : « J’ai oublié en quelles circonstances particulières j’ai fait sa connaissance. Ce dut être au cours de l’hiver 1940-1941, lors d’une de ses nombreuses visites au Hot Club […]. Boris habitait à cinq minutes de la rue Chaptal. Il fut l’un de ces nombreux amateurs qui venaient souvent écouter au Hot Club les précieux disques américains, introuvables dans le commerce. Il vint probablement aussi répéter avec des musiciens amateurs pour préparer l’un de ces tournois annuels d’amateurs comme le Hot Club en organisait depuis des années, déjà avant la guerre. Peut-être est-ce son frère Alain, batteur comme moi, qui me le présenta. Toujours est-il que, vers 1943, Boris et sa femme Michelle faisaient souvent partie de ces réunions du samedi soir que nous organisions entre familiers, dans le pavillon du Club. Nous y luttions comme nous pouvions contre le pesant ennui et les tracasseries de l’Occupation, du couvre-feu, le diable et son train2. » 





... Et à la trompette, Boris Vian !

Depuis les années 1935-1936, Boris jouait de la trompette ; par intermittence. À partir de 1942, que ce soit en compagnie de ses frères, de Claude Luter, de Claude Abadie, à la tête de son propre orchestre ou au côté de Jean-Claude Fohrenbach, il revendiqua hautement la qualité d’« amateur marron ». Un statut qui lui permettait de comprendre comment « ça fonctionnait » – il n’était pas ingénieur pour rien – et de bénéficier d’une fraction de la « pologne », terme en forme de clin d’oeil à Ubu roi par lequel Boris désignait un éventuel cachet à partager. « Il n’était pas mauvais Boris, pas mauvais du tout », se souviendra Claude Abadie3. Claude « Doddy » Léon, batteur et ami fidèle du Bison Ravi, précisait : « Des trompettistes qui jouent comme Bix [Beiderbecke], non pas des imitateurs, mais des gens inspirés par Bix, l’histoire du jazz nous en révèle fort peu. Boris avait ce style voluptueux, romantique, extrêmement fleuri, très éloigné du style un peu dur des grands maîtres de la trompette à cette époque4. » Pour illustrer de tels propos, le chorus que Boris prend sur Jazz me Blues, gravé avec la formation de Claude Abadie, se suffit à lui-même. Deux ans plus tard, en novembre 1948, il allait faire paraître dans Jazz Hot la première livraison de Young Man With a Horn de Dorothy Baker, une vie romancée de Bix qu’il traduisait. Le Lorientais, Le Tabou et ses nuits à thèmes, le Club Saint-Germain, autant d’occasions et de hauts lieux où Boris déployait ses incomparables qualités d’animateur rodées au long des surprises parties données à Ville-d’Avray. Si l’état de Boris Vian trompettiste doit être considéré comme transitoire, il contribua à faire de lui le « Prince de Saint-Germain-des-Prés » selon les folliculaires. Une bonne occasion pour que Boris et son épouse Michelle entraînent dans les caves aussi bien Jacques et Pierre Prévert que Simone de Beauvoir et une bonne partie de l’équipe des Temps modernes. En 1948 Boris présenta « le seul vrai génie du jazz », Duke Ellington, à Raymond Queneau et à Gaston Gallimard avant de servir d’intermédiaire l’année suivante entre Miles Davis, Sartre, Picasso et Juliette Gréco. Il réussit même à entraîner Charlie Parker au Club Saint-Germain…  

1. Boris Vian, Œuvres complètes, Paris, Fayard, 2001, tome VIII, p. 376.
2. Charles Delaunay, Delaunay’s Dilemma, de la peinture au jazz, Mâcon, Éditions W,1985, p. 202-203.
3. Frank Ténot, Boris Vian, jazz à Saint-Germain, Paris, Éditions du Layeur, 1999, p. 38.
4. Noël Arnaud, Les Vies parallèles de Boris Vian, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1981, p. 90.

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