Par Thierry Depaulis et Michel Manson
La pédagogie par le jeu précède les jeux pédagogiques, dès l’Antiquité. Alors que durant le Moyen Âge, les jeux tels les dés, les cartes ou le trictrac étaient condamnés et rejetés en bloc comme une infamie, une vision nouvelle émerge à partir de la deuxième moitié du XVe siècle, encore impensable jusque là : l’insertion du jeu dans l’éducation.
C'est d'abord en Italie que des éducateurs pensent se servir d’un jeu de cartes pour diffuser un enseignement. Ainsi l’humaniste Vittorino da Feltre (1378-1446) recommande-t-il à ses élèves un alphabet "en formes de lettres, peintes de diverses couleurs pour jouer aux cartes".
Si les jeux devenaient outils pédagogiques, c’est que leur approche était moins diabolisée. Sans doute est-ce cette "banalisation" du jeu qui nous vaut une masse de documents devenue considérable à partir du milieu du XVIe siècle. Nombre d’œuvres littéraires utilisent tel ou tel jeu pour agrémenter un récit, colorer une scène dans une pièce de théâtre, souligner une situation, filer une métaphore ou tout simplement raconter ce que l’auteur a vécu. Cette enflure documentaire accompagne aussi la croissance observée dans le nombre et la variété des jeux offerts, dans la présence désormais accrue du jeu parmi toutes les couches de la société.
Les jeux de parcours – essentiellement le jeu de l’oie – sont les plus divertissants, toutes les connaissances étant résumées sur l’estampe alors que les jeux de cartes, qui restent en général très didactiques, sont accompagnés d’un livret de texte. Le jeu de l’oie, apparu à la fin du XVIe siècle, est vite devenu un support de messages idéologiques et pédagogiques lorsque les cases furent illustrées de vignettes. Ainsi le graveur Pierre Duval, géographe du roi, publie vers 1640 un jeu géographique, le Jeu de France, et, pour enseigner l’héraldique, un Jeu du Blason (avant 1662).
D’autres domaines donnent lieu à des jeux de l’oie : l’histoire, avec le Jeu royal et historique de la France de 1662, ou encore la religion et la morale – il s’agit d’éloigner du vice et de faire aimer la vertu. Signalons Nicolas de Fer (1646-1720), géographe, éditeur d’estampes et auteur de jeux de cartes et de jeux de l’oie sur les hommes illustres, les rois de France, etc., dont le gendre, Danet, hérite en 1720 et republie vers 1724 le Jeu de France de Duval. Crépy édite vers 1717 un Tableau chronologique de l’Histoire universelle en forme de Jeu/Hommes remarquables dans l’Histoire universelle comportant cent quatre-vingt-seize cases : ce n’est plus un jeu de l’oie. Certains jeux du XVIIe siècle se retrouvent, mêlés à de plus récents, vers 1780, dans un Catalogue de jeux de l’éditeur Crépy, dont un avis à ses jeunes clients précise qu’"en jouant ils se remettent sous les yeux ce qu’ils ont puisé au cours de leurs études". Les thèmes traités sont ici l’histoire, la géographie, le blason, les arts militaires, la morale et la religion. Ainsi, Le Divertissement des religieuses, Le Triomphe de la vertu, Le Jeu de la conversation (vers 1750), Le Jeu des Bons Enfants voisinent avec Le Jeu de la marine (1768), Le Jeu des fortifications, Les Travaux de Mars ou Nouveau Jeu de la guerre. Mais, bientôt, d’autres jeux éducatifs vont élargir l’offre et varier l’imagerie, en particulier les puzzles, qui se développent en Angleterre depuis 1760.Par Philippe Palasi