"La photographie n’était pas alors
ce qu’elle est devenue ; il n’était question
ni de glace, ni de collodion, ni de fixage rapide, ni d’opération
instantanée. Nous en étions encore au procédé du
papier humide, procédé long, méticuleux, qui
exigeait une grande adresse de main et plus de quarante minutes pour
mener une épreuve négative à résultat
complet. Quelle que fût la force des produits chimiques et de
l’objectif employés, il fallait au moins deux minutes
de pose pour obtenir une image, même dans les conditions de
lumière les plus favorables. Si lent que fût ce procédé,
il constituait un progrès extraordinaire sur la plaque daguerrienne,
qui présentait les objets en sens inverse, que les "luisants" métalliques
empêchaient souvent de distinguer. Apprendre la photographie,
c’est peu de chose ; mais transporter l’outillage à dos
de mulet, à dos de chameau, à dos d’homme, c’était
un problème difficile. À cette époque, les vases en
gutta-percha étaient inconnus ; j’en étais
réduit aux fioles de verre, aux flacons de cristal, aux bassines
de porcelaine, qu’un accident pouvait mettre en pièces.
Je fis faire des écrins, comme pour les diamants de la couronne,
et, malgré les heurts inséparables d’une série
de transbordements, je réussis à ne rien casser et à rapporter
le premier en Europe l’épreuve photographique de monuments
que j’ai rencontrés sur ma route en Orient."
Maxime Du Camp, Souvenirs littéraires.
Flaubert, Fromentin, Gautier, Musset, Nerval, Sand, Paris, Éditions
Complexe, 1996, p. 105.