Paris, objet d'histoire : une ville, deux Paris
par Guillaume Le Gall

L’« invention » du vieux Paris

Affilié à l’histoire ancienne de la ville, le vieux Paris forme une entité plus ou moins abstraite. Il est défini la plupart du temps par opposition à la ville nouvelle issue de ses embellissements. Mais le vieux Paris apparaît aussi, comme une idée de la ville, comme le lieu fantasmé d’un monde antédiluvien. Quand le vieux Paris désigne une partie de la ville associée au pittoresque, il peut aussi servir à magnifier le nouveau, à mettre en exergue l’architecture moderne. Dans cette mesure, Haussmann avait bien compris tout l’intérêt de faire de l’ancienne ville une spécificité de l’histoire, en créant notamment le Musée historique de Paris installé dans l’hôtel Carnavalet ou la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
 

Un Paris pittoresque

Dès avant le cycle haussmannien, les projets d’embellissements assimilent les caractères propres au vieux Paris. Le pittoresque, surtout, est un élément qui sert de faire-valoir et fixe les nouvelles réalisations dans une continuité historique nécessaire à la compréhension de l’espace urbain. Pour Hippolyte Meynadier, ancien chef du bureau des théâtres au département des Beaux-Arts, le pittoresque ressortit au vieux Paris. Il est à la fois constitutif de sa formation et nécessaire pour le maintien de sa physionomie générale : « De la propreté partout ; bon pavage partout ; des eaux saines partout ; mais, grâce pour quelques vénérables sinuosités, et qu’il soit permis de dire encore quelque part : ceci est du vieux Paris. »
Plus les travaux de transformations urbaines avancent, plus la portion du vieux Paris se réduit. À partir du moment où ces coins obscurs de la ville deviennent des objets d’histoire – et donc des objets dignes d’être étudiés –, le vieux Paris s’appréhende autrement. Jules Cousin, conservateur du musée Carnavalet, remarquait à ce propos que « le nouveau Paris est meilleur à habiter qu’à regarder. Ne nous en plaignons pas trop, puisque nous pouvons vivre dans l’un et revoir l’autre… en peinture ».
 

 

Paris reconstitué

À force de délimiter, de mettre à distance et d’étudier le vieux Paris, on finit par l’exposer et faire de lui une curiosité. Exposer l’architecture n’est pas chose banale, et seul le contexte des grandes expositions, ce « sujet de délire du XIXe siècle », pour reprendre l’expression de Balzac dans son Dictionnaire des idées reçues, pouvait voir naître une telle manifestation. Camille Robida, aidé de l’architecte Benouville et de l’architecte-paysagiste Martinet, est chargé de montrer « un vieux Paris » reconstitué pour l’Exposition universelle de 1900. L’ensemble est construit sur une plate-forme qui surplombe la Seine, et doit réunir en un même espace les monuments, l’architecture et « la vie d’autrefois » reconstituées « avec le souci de toute l’exactitude possible, par des comités d’artistes et d’archéologues ». Il ne faut pas s’y tromper, « l’exactitude » dont parle Robida est bien éloignée d’un quelconque souci scientifique. Pour lui, seule compte la couleur locale. Empruntant – pour la métaphore – au vocabulaire de la photographie l’idée d’instantanéité, l’auteur de « ce vieux Paris » conçoit l’histoire comme un instant. Il rêve ainsi de « voir renaître un instant sous [ses] yeux, le passé de [son] pays ». En cela, il rejoint le propos de G. de Wailly, un auteur qui a publié un ouvrage en huit volumes sur l’Exposition universelle, et qui développe l’idée que « ces grandes expositions sont exactement selon [lui], un coup de Kodak universel, un instantané d’humanité photographié à un moment donné, sous toutes ses faces, physiques et morales, matérielles et intellectuelles ». L’instantané comme révélateur participe d’une nouvelle représentation du monde qui se met en place avec le développement de la photographie.
 
 

Un abrégé des siècles passés

Pour reconstituer le vieux Paris, Robida choisit la juxtaposition et le mélange. Il désire avoir ainsi « un abrégé du Paris des siècles passés, du Paris de l’histoire, mais d’un Paris pittoresque et grouillant, avec tout le mouvement et le charme de la vie ». Défendant le projet, G. de Wailly remarque et souligne à quel point « ce vieux Paris est une fantaisie géniale, un poème de pittoresque et d’effet ; mais c’est en même temps un document de premier ordre […] [une] reconstitution, très réelle et très exacte, une œuvre d’art incomparable ». De même, la Commission municipale du vieux Paris, qui a participé activement à la réalisation du projet, salue le résultat.
Au contraire de ces éloges, certains observateurs comme Émile Goudeau et Henri Paillard s’indigneront du grotesque de la reconstitution et du traitement réservé au document, cette notion sacrée que les historiens élaboreront dans la seconde moitié du XIXe siècle : « Tourelles, églises, halles, porte Saint-Michel, place du Pré-aux-Clercs, maison aux Piliers, […] hôtel d’Harcourt. Et allez donc. Des gens moyenâgeux, quoique vêtus en mousquetaire, promenant des justaucorps rouges de hallebardiers du XVIe siècle, s’abouchent avec des demoiselles du XIIIe siècle. Les chanteurs de Saint-Gervais psalmodient du Palestrina sous l’œil de Mérodack, le pitre des cathédrales. » À force de voir le vieux Paris comme un décor, les évocations des siècles passés ont fini par produire une vraie mascarade de l’histoire. Après plus d’un demi-siècle d’évocation de la ville ancienne, même G. de Wailly finit par être « saturé de “vieux Paris” ».
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