Paris, objet d'histoire : sauvegarde, représentation
par Guillaume Le Gall

En marge des plaintes et des regrets, des initiatives se font jour pour sauvegarder le vieux Paris, ses monuments, son tissu urbain et sa physionomie. Cette volonté de conservation se mesure aussi aux progrès de l’archéologie. Depuis la fin du XVIIIe siècle, en particulier, un regain d’intérêt pour le Moyen Âge va permettre de considérer toute une partie du patrimoine de la ville habituellement délaissée. Sur le modèle des sociétés archéologiques créées par Arcisse de Caumont, des sociétés d’histoire vont se constituer à Paris. Face aux destructions et à la disparition accélérée de la vieille ville, certains vont appeler la gravure puis la photographie à jouer un rôle de gardiennes de la mémoire. Devant les transformations urbaines, la photographie va partager avec la littérature de nouveaux motifs.
 
 

L’image contre le temps

« Nous voulons essayer de faire revivre à leurs yeux l’originale et piquante physionomie du Paris d’autrefois, dont les traits vont s’effaçant chaque jour davantage. » C’est dans ce sens que la Société d’iconographie parisienne s’est créée en 1908, avec pour objet de « rechercher, répertorier et publier les représentations figurées de Paris et de ses habitants aux diverses époques de l’histoire [et de] contribuer à l’établissement d’une méthode critique qui permette de déterminer dans quelle mesure ces représentations répondent à la réalité des choses ».
Au même titre que la Commission des monuments historiques avait déjà fait appel à la photographie, les institutions de défense du vieux Paris vont utiliser, quelques années plus tard, le nouveau moyen de reproduction pour sauvegarder par l’image les restes de la vieille ville. Déjà, Jules Cousin remarquait dans sa préface de Paris à travers les âges que « la lithographie a détrôné la gravure, en attendant que la photographie la détrône à son tour ».
La Commission municipale du vieux Paris, de son côté, crée une sous-commission à « la conservation des aspects à l’aide de la photographie et des divers procédés artistiques, de façon à assurer le souvenir des parties de la ville appelées forcément à disparaître, ou représentant un caractère pittoresque ». Dès le début du siècle, il est admis que la photographie est un outil plus pratique pour répertorier les monuments qu’il s’agit de représenter. À ce titre, à l’Exposition universelle de 1900, la Commission municipale du vieux Paris expose vingt-deux photographies et seulement huit tableaux, huit aquarelles et dessins, ainsi que sept plans et objets divers. À propos d’un dessin à la plume de Gaston Coindre représentant l’hôtel Flesselles, la Société d’iconographie parisienne remarque que la « planche XXVII fournit une meilleure documentation ; elle reproduit un excellent et rare cliché obligeamment prêté par M. Atget, l’avisé photographe de nombreux monuments disparus ».
 

Photographie et transformation de la ville

La photographie – et ce davantage que la peinture ou la gravure – apparaît comme un moyen propre à rendre visibles les mutations urbaines à Paris. Devant les transformations de la ville de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’objet à représenter est changeant, éphémère et, par nature, transitoire. Il semble alors que la photographie, art du temps par excellence, soit désignée pour reproduire cet état des choses. En 1857, dans son livre Les Ruines de Paris, Charles Monselet traduit à merveille la nécessité de recourir à la photographie pour sauver des ruines les précieux documents du vieux Paris : « De longtemps on ne verra une semblable période, qui, par sa nature transitoire, devait forcément se dérober à la peinture, et qu’ont seules consacrée de rares épreuves photographiques. ».
 

 

Lutter contre l'oubli

Le choix et l’utilisation de la photographie répondent à la fois au désir de voir conserver les traces de l’histoire par l’image et à une angoisse devant la disparition jugée trop violente ou injustifiée d’une partie de la vieille ville. Outil de la mémoire au service des arts et de la science, la photographie est incontestablement perçue au XIXe siècle comme un des moyens de lutter contre l’oubli que les destructions urbaines menacent d’accroître au fur et à mesure que les démolisseurs poursuivent leurs travaux. Mais les photographes ne se contentent pas de faire l’inventaire des richesses nationales – comme ils l’avaient fait pour la Mission héliographique de 1851 par exemple –, ils souhaitent aussi, au même titre que les écrivains, enregistrer ce moment particulier de la disparition.
Aux alentours de 1850, une convergence évidente s’établit entre les textes et les photographies qui prennent pour sujet la disparition du vieux Paris. Il semble qu’écrivains et photographes soient parfois poussés par les mêmes exigences. Devant la disparition, l’angoisse, les plaintes et les regrets s’écrivent, tandis que les restes du vieux Paris s’enregistrent mécaniquement. Plus précisément, la photographie agit dans l’interstice de temps qui précède la disparition complète de l’objet à sauvegarder. Mais, dans le cadre des transformations urbaines, la disparition, qui est le résultat de l’action de la destruction, est-elle représentable ? En définitive, les photographes vont chercher les signes visibles de la disparition, c’est-à-dire ce qui l’annonce.
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