Enregistrer la transformation
Sur ses images du vieux Paris, Marville élabore une composition
qui donne à la ville ancienne une intégrité parfaite.
La sinuosité et l’étroitesse de la rue, les accidents
et l’hétérogénéité du tissu urbain
sont autant d’éléments qui renvoient au vieux Paris.
Mais, à l’instant où le photographe effectue ses
prises de vue, les rues sont déjà condamnées à disparaître.
Dans la logique de la Commission municipale des travaux historiques créée
par Haussmann en 1860, Marville ne fait ici que répondre aux exigences
de l’administration qui souhaitait effectivement garder les traces
de la vieille ville avant qu’elle ne disparaisse.
À l’intérieur même de ce principe d’opposition,
Marville va aussi enregistrer les traces des travaux de démolition.
Ce choix correspond à un temps moyen, c’est-à-dire à un
moment instable et indécis qui se situe entre l’instant qui précède
la complète démolition et le devenir des objets condamnés.
Chez Marville, l’ensemble de ces représentations est donc soumis
aux trois temps de la disparition établis par son protocole d’enregistrement :
l’avant, le pendant et l’après. À la suite d’une
destruction proche d’un paysage apocalyptique, Marville investit la ruine
d’une vertu régénératrice. Chez lui, la ruine moderne
est annonciatrice d’une ville nouvelle, plus prestigieuse, plus riche
et plus hygiénique. En effet, sur la
Vue prise de la rue Saint-Augustin
vers l’Opéra (1877), le nouvel édifice de Garnier
apparaît comme un mirage surgissant du chaos, comme une image dans l’image à partir
de laquelle le spectateur est invité à se projeter, aidé s’il
le faut par les lignes fuyantes du percement sur le point d’être
terminé. Marville inscrit dans sa photographie des temporalités
différentes, à savoir une actualité des transformations – donc
des démolitions – et un avenir, celui des réalisations
sur le point d’aboutir – l’Opéra par exemple – et
que seules ont justement permises ces destructions représentées
sur la même image. En définitive, le sujet des photographies de
Marville n’est pas tant la disparition de la vieille ville mais sa transformation,
et surtout l’apparition de sa nouvelle physionomie. Dans ce travail,
le photographe dévoile une modernité qui s’installe sur
les décombres de la vieille ville.