Humaniste anglais, savant, avocat,
ami de Linacre et dÉrasme, page du cardinal Morton, archevêque de Canterbury, More
connaît une carrière politique brillante après sêtre opposé en 1507 à Henri
VII dont il dénonce les exactions - grâce à Henri VIII et devient ambassadeur puis
grand chancelier en 1529. Il est jugé pour haute trahison et décapité le 6 juin
1535 : catholique sincère, il refuse de se rallier à lActe de Suprématie
signé par le Parlement faisant du roi le chef suprême de lEglise anglaise. Il sera
canonisé 400 ans après son exécution. Il est lauteur dune utopie très
célèbre écrite en latin en 1516 et traduite en allemand (1524), en italien (1548), en
français (1550), en hollandais (1553). La version anglaise voit le jour en 1551 seulement
et le texte aura un grand retentissement, inventant un concept et influençant durablement
de nombreux auteurs.
LUtopie prend la forme dun récit fait à lAuteur par Raphaël
Hythlodée, voyageur ayant passé cinq ans en Utopie et exposant en détail létat
social dun pays inventé. Sous ce prétexte littéraire, le livre I dont la
composition est postérieure au livre II dénonce les faiblesses dun état de fait
en évoquant en particulier les Achoriens, peuple victime dun souverain administrant
deux royaumes, et les Macariens dirigés avec bonheur par un souverain travaillant pour la
prospérité de létat. Dans le livre second, lîle est minutieusement
décrite et se révèle proche de lAtlantide de Platon, à la différence que cette
dernière est une communauté aristocratique reposant sur le travail desclaves.
Cette île en croissant, fortifiée, protégée, est née du naufrage, au IIIe
siècle avant Jésus-Christ, dun navire romain : Abraxa premier nom de
lîle devient alors Utopia, sur la volonté dUtopus, chef des Romains.
Celui-ci commence par creuser un isthme de séparation avec le continent et instaure un
système politique démocratique et parlementaire dont la cellule de base est la famille
agricole : chacune comprend 40 membres, une cité en comporte 6000, et lîle
abrite 54 cités, soit 13 millions dhabitants. La propriété privée nexiste
pas chacun obtient ce dont il a besoin et les familles changent de maison tous les
dix ans –, loisiveté est inconnue, chaque habitant doit effectuer un service
agricole de deux ans et la production est ramenée à lutile. La journée se
répartit en trois étapes - six heures de travail, neuf heures de sommeil, neuf
heures pour les repas et les loisirs (sinstruire, converser, faire de la musique) –,
et seuls sont exemptés de travail ceux aptes aux études, aux sciences et aux lettres.
Lor est méprisé et les habitants définissent la vertu comme "vivre
selon la nature". Cette communauté paisible et fraternelle limite ses
relations avec lextérieur, déteste la guerre, autorise toutes les religions
mais interdit la libre-circulation, exige labsolue transparence et maltraite les
Utopiens qui ont commis des crimes.
Loin de toute Providence divine, cette société idéale est réalisée par des moyens
humains : les Utopiens sont des hommes avec les qualités et les limites de leur
condition. Et par là ils invitent à lespoir.1 Le titre de la première
traduction française est La description de lîle dUtopie où est compris
le miroir des républiques du monde, et lexemplaire de vie heureuse : rédigée
par écrit en style très élégant de grandhautesse et majesté par illustre bon et
savant personnage Thomas Morus citoyen de Londres et chancelier dAngleterre, avec
lépître liminaire composée par Monsieur Budé maître des requêtes du feu Roi
François Premier de ce nom (1550).
2 Le mot latin
"Utopia", construit à partir du grec ou, "non,
ne
pa ", et de topos "région, lieu", est le
nom dune île située "en aucun lieu" |