La référence aux "auctoritates"
"Comme la production littéraire ne cesse d'augmenter à partir du XII
e siècle, il faut trouver d'autres méthodes de lecture plus rapides qui vont permettre aux intellectuels de prendre connaissance d'un plus grand nombre d'œuvres. Ces méthodes seront très diverses. L'approche visuelle du texte va remplacer l'audition. Il faudra désormais lire vite et avoir le moyen de retrouver facilement les passages qu'on désire utiliser et les arguments indispensables à connaître dans un domaine bien précis. Les médiévaux ont toujours eu recours aux
auctoritates dans leurs propres compositions littéraires. Il s'agit de phrases, de citations ou de passages extraits de la Bible, des Pères de l'Eglise ou des auteurs classiques, destinés à donner plus de poids à leur propre argumentation. Pour les aider dans la recherche de ces extraits, on compose des florilèges ou des recueils de textes destinés à être mémorisés et permettant de retrouver facilement les passages recherchés. Outre ces florilèges, on voit apparaître dès le XII
e siècle d'autres types d'instruments de travail permettant au lecteur de se retrouver facilement dans un manuscrit et de repérer certains extraits sans lire le texte entier. La lecture continue et chronologique d'une œuvre qui se faisait lentement, permettant d'assimiler, sinon l'ensemble, au moins la substance d'un ouvrage, va céder désormais le pas à une lecture fragmentaire et morcelée qui aura l'avantage de permettre une saisie rapide de morceaux choisis, mais qui n'incitera plus au contact profond avec le texte et à l'assimilation de la doctrine qui s'y trouvait contenue. L'utilité va prendre le pas sur la connaissance."
Jacqueline Hamesse, "Le modèle scolastique de la lecture", dans Histoire de la lecture dans le monde occidental, Seuil 1997