Les habitants
par Guillaume Le Gall

 

Petits métiers et habitants

Sur la scène de ce théâtre urbain, Atget photographie l'activité du commerce de la rue (petits métiers, boutiques, étalages, etc.).
La série des petits métiers d’Atget, commencée en 1897, s’inscrit dans une longue tradition iconographique qui s’affirme comme un genre, et à l’intérieur duquel nous distinguons deux types de productions différentes. L’une est d’origine populaire (la production des graveurs de la rue Saint-Jacques par exemple), l’autre relève davantage des grandes suites d’auteurs (Abraham Bosse, Bouchardon, etc.). Certaines photographies de petits métiers d’Atget présentent des analogies formelles et structurelles avec ces dernières. Seulement, le photographe ne se contente pas de réinterpréter cette tradition, il réussit à inventer un nouveau style documentaire. Chez Atget, en effet, le petit métier ne se réduit pas au seul motif pittoresque que le folklore du XIXe siècle avait mis à la mode, mais intègre celui-ci dans son environnement proche.
Après avoir photographié les petits métiers, Atget s'intéresse aux étalages, aux boutiques et aux marchés. Ces activités présentent pour lui des aspects qui participent à la morphologie générale du vieux Paris. Ainsi, les marchandises exposées sortent du cadre strict de la boutique, débordent sur les trottoirs. Les kiosques, notamment, deviennent chez Atget des formes anthropomorphiques qui rappellent les marchands ambulants photographiés quelques années plus tôt, et s'opposent au nouveau développement du commerce que sont les grands magasins de la ville haussmannienne.
 

Zoniers et populations marginales

Le vieux Paris n'est pas seulement une nouvelle catégorie de l'histoire urbaine inventée par des personnalités attachées au souvenir d'un passé, il est l'une des conséquences majeures de l'haussmannisation. Les grands travaux de rénovation urbaine ont fait apparaître, par contraste, le vieux tissu urbain comme une trace de l'ancienne ville. Dans une certaine mesure, Atget rend compte de ce processus. Mais le photographe ne s'arrête pas à la seule description de la ville comme artefact, il élargit son champ d'intérêt à la population marginalisée par les transformations urbaines. Ainsi, les habitants de la zone, périphérie du centre haussmannien, constituent pour lui un sujet qu'il va traiter sous la forme d'un album : Les Zoniers. Propriété de l'armée, cette zone était non aedificandi, c'est-à-dire qu'aucune habitation fixe ne devait s'y construire. Dans cet album, Atget fait le portrait d'une population démunie qui vit sur une zone située entre les fortifications et la banlieue. Il dresse une typologie des constructions éphémères et, souvent, photographie les zoniers dans leur environnement immédiat.
Le propos d'Atget est assez clair. Alors que le centre de Paris se modernise et offre un certain confort, les marges de la ville sont habitées par une population laborieuse. Atget fait le constat de cette configuration urbaine et invente une nouvelle approche documentaire en photographie. C'est en partie pour son nouveau style documentaire que de nombreux photographes des années vingt vont le tenir pour le précurseur de la photographie moderne.
 
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