L'arbre et le paysage
par Guillaume Le Gall

Les primitifs de la photographie se sont très vite emparés des genres de la peinture et de la gravure afin de pouvoir se mesurer, voire rivaliser, avec ces dernières. Le paysage est un genre qui, comme les vues de monuments, permettait aussi aux photographes d'éviter des problèmes techniques liés à la lenteur de leur procédé d'enregistrement. Atget, pour sa part, ne s'est pas directement investi dans ce genre, mais va davantage inventer une nouvelle approche du paysage, notamment en s'attachant à représenter des morceaux de la nature, tels les arbres.
L’arbre est un motif essentiel de l’histoire de l’art que l’on retrouve à la fois dans la peinture de paysage et dans la gravure. Sous la Restauration, ce motif va connaître un essor extraordinaire grâce aux nombreux manuels d’apprentissage du dessin. Les conseils donnés aux néophytes se limitaient la plupart du temps à une étude scrupuleuse de la nature et dans laquelle l’arbre tenait une place de premier ordre.
Dans les séries des fortifications, de Sceaux ou de Saint-Cloud, le motif de l'arbre représenté avec un souci du détail est récurrent. Aussi, il semble probable que le photographe se soit appliqué à livrer aux peintres et dessinateurs une étude pouvant se substituer au dessin. Mais Atget dépasse cet héritage en livrant une représentation inédite de l'arbre. Car c'est au moyen d'un motif archaïque que le photographe nous donne une représentation du paysage de la marge.
 

Le baroque dans les jardins de Versailles

Le château et les jardins de Versailles vont occuper Atget tout au long de sa carrière. La qualité extraordinaire et l’invention formelle de certaines des photographies des jardins témoignent d'un goût prononcé pour cette nature dessinée par l'homme du XVIIe siècle. Dans un souci de comprendre l'œuvre en son entier, il est nécessaire de mettre cette série en relation avec le travail d'historien qu'effectue Atget à propos du vieux Paris, celui du XVIIe siècle en particulier. Car comment peut-on expliquer qu’Atget évite de photographier la rigueur du tracé haussmannien alors qu’il ne dédaigne pas représenter les lignes géométriques de Le Nôtre ? De plus, si le Paris de Haussmann constitue le symbole d’un pouvoir centralisé, Versailles n’en est-il pas le modèle par excellence ? Atget refuse de photographier le Paris haussmannien, mais n’hésite pas à photographier son archétype, Versailles. Car Versailles représente aussi le paroxysme du baroque et du classicisme que Haussmann va réutiliser pour aménager le nouveau Paris. En définitive, plutôt que de dévoiler le Paris moderne, Atget préfère photographier son origine dans le baroque de Versailles.
Dans les jardins de Versailles, de la même façon qu’à Paris, Atget s’attarde surtout aux frontières de son sujet. Comme pour les fortifications, Saint-Cloud ou Sceaux, c’est encore l’arbre et la végétation en friche des marges qui viennent troubler l’ordre général des tracés rectilignes.
 
haut de page