Michael Kenna

Habiter le monde

La présence humaine n’est visible dans les photographies de Kenna que par ses traces et ses réalisations matérielles : structures architectoniques, immeubles, ponts, statuaire, dispositifs et agencements artificiels des végétaux et des météores. Présence évidente et massive dans les photographies urbaines, elle se fait ténue, devient une trace infime lorsqu’il s’attache aux paysages d’Orient. Des barrières, poteaux, palissades, rythment les paysages de neige et paraissent installés dans l’espace en une tentative naïve de faire œuvre – une ligne traversant l’image, quatre piquets à peine émergeant de l’eau – et un espace humain se dévoile. Ils révèlent la volonté de bâtir, si ténu et éphémère soit l’objet. Partout se décèle une présence humaine, peinant sur la terre, tentant d’habiter le monde non seulement par les constructions et les cultures, mais « par toutes les œuvres dues à la main et aux accomplissements de l’homme ». La véritable habitation des mortels ne peut être que poétique. « Quand la poésie apparaît, alors l’homme habite sur terre en homme, alors, comme le dit Hölderlin dans son dernier poème, “la vie des hommes” est “une vie habitante, […] la hauteur du ciel brille alors comme une floraison.” (Martin Heidegger) »
 
Chez Kenna, l’habitation du monde ne se réduit pas à la présence active de l’homme bâtisseur, à ses déplacements dans l’espace, à sa relation avec la nature ou aux traces qu’il y imprime. L’habitation du monde engage l’homme esthétiquement.
La photographie peut devenir l’outil d’une théorie sur le devenir du monde ou un document illustrant une entité géographique, mais ici la photographie, elle-même comprise comme espace, construit un monde qu’elle montre sous de multiples angles, lui donne sa consistance et rend tangible la condition spatiale de l’homo viator. Dans les peintures de Caspar David Friedrich, un personnage vu de dos occulte le paysage qu’il contemple. On ne voit personne dans les photographies de Kenna : c’est le regardeur qui les habite.
 
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