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Cartographie des routes de l'extrême-Orient

Par Hans Kok (texte traduit de l’anglais par Laurent Bury)

La Compagnie néerlandaise des Indes orientales

Aux Pays-Bas, la Compagnie des Indes orientales s’appelait Verenigde Oostindische Compagnie, d’où l’acronyme VOC. Ce fut la première société anonyme de l’Histoire, avec des actions cotées en bourse. Fondée en 1602, elle devint une firme mondialement connue. Une concurrence accrue, une politique financière inadaptée et la politique internationale entraînèrent sa chute en 1799. La VOC était alors partie intégrante de l’économie néerlandaise et le gouvernement fut obligé de reprendre les vestiges d’un empire commercial privé pour le transformer en empire colonial.
Les dix-sept provinces des Pays-Bas appartenaient autrefois à l’empire des Habsbourg. La guerre d’indépendance, commencée en 1568, s’acheva avec le traité de Munster, en 1648 : les ports espagnols furent alors fermés aux navires néerlandais, qui ne pouvaient donc plus transporter les marchandises venant des colonies hispano-portugaises. Faute de trouver d’autres itinéraires, ils devaient nécessairement contourner le cap de Bonne-Espérance. Entre-temps, l’unité des dix-sept provinces avait éclaté, celles du Nord ayant fait sécession. Après 1595, comme des expéditions avaient été lancées par plusieurs compagnies de taille modeste, les états généraux de la république septentrionale comprirent qu’un faible pouvoir commercial et politique rendrait toute entreprise vaine et imposèrent en 1602 une fusion qui déboucha sur la création de la Compagnie des Indes orientales. Une charte en régissait les aspects commerciaux tout en lui accordant une certaine souveraineté, notamment sur le plan militaire pour défendre ses investissements. La zone concernée, telle qu’elle fut cartographiée, allait du cap de Bonne-Espérance, vers l’est, jusqu’au détroit de Magellan.

L'organisation de la VOC

La Compagnie était composée de six chambres, représentant les diverses villes, qui possédaient une influence liée à leurs parts du capital : huit directeurs étaient issus de la chambre d’Amsterdam, quatre de Middelbourg et un de chacune des autres chambres, lesquels, avec un directeur supplémentaire « tournant », formaient les fameux Heren Zeventien, le Conseil des dix-sept. Chaque chambre armait ses propres navires, les dépenses et les recettes étant confiées à une gestion spécifique. Comme les communications avec l’Extrême-Orient prenaient du temps, l’autorité sur place était exercée par le Raad van Indië, un conseil présidé par un gouverneur général à Batavia (l’actuel Jakarta), mais, pour les questions les plus importantes, l’accord des directeurs des Pays-Bas était nécessaire.
La VOC avait une structure verticale, qui contrôlait toute la chaîne de production : achat des marchandises, transport et commercialisation. Cette structure globale, à la différence, par exemple, de la compagnie des Indes britanniques, impliquait la standardisation des navires, des cartes et des instruments, dont, pendant deux siècles, toutes les modifications furent répertoriées dans un document, la Lijste van de Boeken, Kaarten en van Stuermansgereetschappen.
Les principales implantations commerciales étaient les îles Moluques (épices), Ceylan (cannelle), le Cambodge, le Siam (peaux de daim) et le Japon (textiles, céramiques) ; s’y ajoutaient des fabriques en Inde (soie, textiles), au Bengale, en Chine, en Malaisie, dans la mer Rouge et dans le golfe Persique. De nombreux comptoirs, dans les îles d’Indonésie, acheminaient les marchandises jusqu’à Batavia en vue de leur transport vers les Pays-Bas. L’île de Deshima (Nagasaki) joua un rôle particulier en tant qu’unique fenêtre du Japon sur l’Occident – et réciproquement – jusqu’à ce que la flotte de l’amiral Perry ouvre le pays aux autres nations en 1853. L’implantation, en 1652, d’une escale au cap de Bonne-Espérance, sans but commercial mais pour le repos des navires et des équipages, permit aussi d’augmenter la charge utile lors des voyages de retour, puisque la cargaison de nourriture pouvait être calculée pour un voyage plus court.

Le service cartographique de la VOC

De ses débuts jusqu’à sa faillite, la VOC eut un service cartographique et hydrographique qui travailla exclusivement pour elle. Un cartographe officiel était nommé à Amsterdam et un service complémentaire, chargé des itinéraires locaux et des voyages de retour, existait à Batavia, où le cadastre et la construction de fortifications créaient localement une forte activité.
On envoyait en Hollande des copies de toutes les cartes produites à Batavia, où l’on compta vers 1745 plus de cinquante cartographes. D’abord supervisées par un equipage-meester responsable de l’armement, puis par un baas-kaartenmaker, un cartographe en chef, les principales opérations lancées par Batavia concernent les expéditions vers la « Terre méridionale inconnue » dans les années 1620, les voyages, en 1643, de Maarten Gerritsz de Vries vers le Japon et au-delà et, à la même époque, le périple d’Abel Tasman vers l’Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande, puis le nouveau périple de Willem de Vlamingh sur les côtes australiennes en 1697.
Les cartes de la VOC étaient principalement des copies manuscrites établies d’après les cartes matrices constamment réactualisées. La Lijste nous apprend quelles cartes étaient embarquées et quel pilote en était responsable en cas de dommage ou de perte. La copie manuscrite, préférée à l’impression mécanique, garantissait une confidentialité jugée initialement nécessaire, mais, en 1753, Jan de Marre persuada les Heren Zeventien d’accepter l’imprimé, qui coûtait moins cher que les cartes sur vélin. À bord, on utilisa désormais les volumes du Zeefakkel de Van Keulen, et plus d’une carte sur vélin finit comme reliure pour les livres de gestion de la compagnie.
Nous connaissons la liste des cartographes officiels de l’organisation. Avant 1608 et la fusion des premières compagnies au sein de la VOC, la fonction de cartographe fut remplie par Petrus Plancius et par les hydrographes de l’école d’Edam, en Hollande-Septentrionale. Ils furent remplacés par Augustijn Robaert (1608-1617), puis Hessel Gerritsz (1617-1632). Il y eut ensuite la succession des Blaeu : Willem Jansz Blaeu de 1633 à 1638, Joan Blaeu I de 1638 à 1672 et Joan Blaeu II de 1672 à 1705. Après eux, Isaac De Graaf fut cartographe officiel de 1705 à 1743 et la famille Van Keulen exerça cette charge entre 1743 et 1799.
Les très nombreuses cartes anonymes que nous connaissons proviennent soit de Batavia, soit de fournisseurs locaux sollicités par les différentes chambres ; on note d’ailleurs des plaintes concernant les prix élevés pratiqués par le cartographe de la chambre d’Amsterdam.

Le choix des itinéraires

Les itinéraires des navires de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales n’étaient pas choisis en fonction de la distance à parcourir, mais du temps de trajet car on préférait ajouter des milles pour bénéficier de vents et de courants favorables. Parmi les dangers possibles figuraient les risques politiques, les pirates et les hasards nautiques ou météorologiques.
Au départ des Pays-Bas, les navires se dirigeaient soit vers la Manche, soit vers la « porte de service » contournant l’Écosse et l’Irlande, selon les circonstances politiques et les vents dominants. L’itinéraire habituel passait ensuite à environ quatre cent cinquante kilomètres à l’ouest du cap Finistère, puis au large des Canaries et des îles du Cap-Vert. À l’approche de l’équateur, on entrait dans la zone de convergence intertropicale, où, les vents tombant parfois pendant des périodes prolongées, les navires étaient soumis aux courants marins, sans force motrice pour retrouver leur itinéraire. La VOC conseillait donc d’emprunter le Karrespoor , le « chemin des carrioles » dessiné sur les cartes entre l’équateur et le parallèle situé à 12° au nord, entre l’Afrique et le Brésil, où la force des courants était moindre, en principe. Les navires pouvaient aussi dériver le long des côtes d’Afrique occidentale ou au large de la côte septentrionale de l’Amérique du Sud, ce qui augmentait la durée du voyage.

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Le trajet se poursuivait le long de la côte sud-américaine, jusqu’au moment où l’on rencontrait les vents d’ouest, qui permettaient de traverser rapidement l’Océan jusqu’au comptoir installé par la VOC au cap de Bonne-Espérance. C’est ce comptoir qui est à l’origine de l’Afrique du Sud telle que nous la connaissons.
Pour traverser l’océan Indien, l’itinéraire s’éloignait considérablement de l’équateur à cause des vents contraires. Le passage par les quarantièmes rugissants assurait une traversée rapide grâce à la fois aux vents d’ouest et aux courants marins renforçant leur effet. En sens inverse, ces vents et courants devenaient défavorables. Les voyages de retour empruntaient donc des itinéraires différents. Il était possible d’aller directement de Ceylan ou du détroit de la Sonde jusqu’au Cap, en passant au sud de Madagascar, en direction de la baie de la Table ou de la baie False. On continuait ensuite par Sainte-Hélène.
Les trajets entre Batavia et les comptoirs régionaux étaient soumis aux mêmes considérations. Un navire à destination de Ceylan, où la VOC avait des intérêts considérables, partait vers l’ouest depuis le détroit de la Sonde, puis tournait vers le nord jusqu’à la latitude de Galle, en traversant les Maldives. Ces itinéraires sont connus grâce aux cartes enregistrant la position des navires. Pour aller au Siam, on passait par la Malaisie avant de remonter le Chao Phraya jusqu’à Ayutthaya, mais au retour on longeait les côtes orientales du golfe du Siam, l’un des trajets étant goede (bon), l’autre quade (mauvais). Ces itinéraires sont représentés sur les cartes de la VOC.
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