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L'Âge d'or des cartes marines

Quand l'Europe découvrait le monde

De toutes les cartes marines produites en Occident, les somptueux portulans apparus sur le pourtour méditerranéen au XIIIsiècle, avec leur abondance d'ors, d'enluminures et d'ornements, ont sans doute suscité le plus de fascination, tant leur origine et leur construction, d'emblée très aboutie, sont empreintes de mystère.
Ce dossier propose une synthèse haute en couleur des connaissances accumulées – et fortement renouvelées depuis une vingtaine d'années – sur un genre cartographique d'une vitalité et d'une longévité exceptionnelles. Né dans les ports de Majorque, Gênes ou Venise, il a été adapté par les marins portugais aux nouveaux défis des traversées transocéaniques et s'est avéré, pour les puissances maritimes européennes, un outil de navigation précieux dont l'usage s'est prolongé jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Le propos s'est enrichi des apports d'un programme de recherche sur les sociétés méditerranéennes et l'océan Indien (MeDIan), qui s'intéresse aux transferts de savoirs entre civilisations : il permet de montrer le rôle considérable de ces échanges dans la construction d'une image cartographique de l'océan Indien, de l'Antiquité au XVIIIe siècle. Bénéficiant de ces approches croisées, ce dossier propose donc un regard élargi sur les cartes portulans et, à travers elles, sur la circulation des hommes, des idées, des connaissances – sur une construction commune de l'image du monde moderne.

Qu'est-ce qu'un portulan ?

L'Ouverture océane de Frank Lestringant pose les bases de la connaissance du monde par les portulans. Aux constructions scolastiques des abbés et des moines, repliés dans leurs couvents et vivant de livres, les portulans opposeraient une « cartographie de plein vent », dressée à l’air libre, sur le pont des navires, l’astrolabe et le compas à la main. Mais les portulans sont aussi des cartes d'imagination car bien souvent l’intérieur des terres, par définition vacant dans ces cartes nautiques, se peuple de créatures fabuleuses...

Dans Fascination des portulans Catherine Hofmann montre comment ces documents, qui gardent une part de mystère, sont devenus des objets d'étude, autant que des objets de collections au point de suciter de célèbres contrefaçons.
 
Dans Modes de fabrication et usages des cartes portulans Catherine Hofmann, Hélène Richard et Emmanuelle Vagnon établissent les caractéristiques des portulans et étudient leur production par des « hydrographes de cabinet » à partir de relevés partiels recueillis par les navigateurs et les pilotes.

La Méditerranée

Dans La Méditerranée, matrice des portulans Emmanuelle Vagnon établit comment la Méditerranée est au cœur du dispositif des lignes de vents qui rayonnent autour de certaines localités des Baléares ou de l’Italie. Les autres mers figurent comme des marges tout autour, et sont parfois distinguées par un graphisme différent.

Dans Les cartographes de la Méditerranée aux XVIe et XVIIe siècles Corradino Astengo étudie l'évolution des portulans à l’époque de l’expansion maritime européenne vers le grand large et les nouveaux mondes ainsi que les problèmes posés par la déclinaison magnétique. Il présente les principaux centres de production ainsi que les plus célèbres dynasties de cartographes.
 
Dans Cités antiques, médiévales et du Nouveau Monde sur les cartes portulans Jean-Yves Sarazin s'attache à étudier la représentation des villes dans les cartes portulans, qui prend souvent la forme de « maisons-tours » entourées de murailles.

Dans L'insulaire Georges Tolias étudie le genre spécifique des « livre des îles » qui s’épanouit à l’époque des grandes découvertes. Ces encyclopédies éclectiques d’îles cartographiées proposent un système inédit pour représenter l’espace maritime situé au-delà des rivages continentaux que décrivent les cartes portulans.

Le grand large

Hélène Richard introduit dans Le défi des océans comment la découverte progressive de terres nouvelles, dont les contours sont peu à peu définis, pose de nouveaux problèmes de représentation.

Dans La cartographie ibérique Luisa Martín-Merás Verdejo développe la rivalité croissante entre l'Espagne et le Portugal au cours des trois principales phases des expéditions de découvertes, ainsi que les batailles juridiques qui s'ensuivirent.

Dans De la Méditerranée à l'océan : nouveaux problèmes, nouvelles solutions Joaquim Alves Gaspar expose les difficultés liées à la navigation en haute mer induites par l’exploration systématique de la côte africaine et les débuts de la navigation astronomique. Le point de fantaisie, fondé sur le cap magnétique et la distance estimée, cède la place au point calculé où la latitude observée devient l’élément d’information dominant.
 
Dans Les hydrographes normands Sarah Toulouse présente l'apparition en Normandie d'une école d’hydrographie et de cartographie marine originale entre 1480 et 1650. Sa production se situe à mi-chemin entre la cartographie marine portugaise et espagnole des XVe et XVIe siècles – encore très proche des portulans médiévaux – et le renouveau apporté par les Hollandais à partir de la fin du XVIe siècle.

Des hydrographes au bord de la Tamise présente l'apparition, aux XVIe et XVIIe siècles, d'une école d’hydrographie anglaise. En 1600, sa production, présentée par Sarah Tyacke, incluait les mers entourant le cap de Bonne-Espérance, l’océan Indien et l’Extrême-Orient.

Dans Iconographie des nouveaux mondes du XVe au XVIIe siècle Surekha Davies revient sur la tradition antique des merveilles et des monstres pour montrer comment cette galerie de créatures fabuleuses et autres peuples monstrueux est relayée dans la décoration des portulans. L’illustration des explorations géographiques du XVIe siècle introduit la représentation des cannibales du Brésil.

L'océan Indien


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La circulation des savoirs, introduction d'Emmanuelle Vagnon, démontre que ce n’est pas dans un « Nouveau Monde », mais dans un espace de très ancienne civilisation où s’échangeaient depuis des siècles les épices, l’ivoire et les textiles que firent irruption les navigateurs portugais. Cette activité économique déjà mondialisée était connue de réputation dans l’Occident médiéval, avide des trésors de l’Orient. Et c’est précisément parce que l’un de ces circuits commerciaux aboutissait en Méditerranée que les marchands occidentaux cherchèrent à y pénétrer par de nouvelles routes.

Dans La cartographie de l'océan Indien au Moyen Âge Emmanuelle Vagnon analyse le tranfert des savoirs antiques durant le haut Moyen Âge et montre comment les cartes portulans furent précédées d’une longue tradition cartographique résultant des voyages antiques et des savoirs vernaculaires. La Géographie de Ptolémée, qui représente l’océan Indien comme une mer fermée au sud, commence à être réfutée dès le XVe siècle.
 
Dans Cartographie nautique et cartographie humaniste de l'océan Indien Zoltán Biedermann détaille le retentissement des « découvertes » portugaises sur la culture occidentale et la mise à distance des autorités antiques qui s'ensuit. Les cartes, combinant informations nautiques et peinture des continents, multiplient les stratégies à la recherche d’un langage et d’une technique cartographique complexes plutôt qu’une réduction à un « langage portulan » simple. Elles relaient ainsi une image encore enchantée du monde.

Dans Cartographie des routes de l'extrême-Orient Hans Kok relate la création en 1602 de la Compagnie Hollandaise des Indes orientales (VOC) et le rôle décisif de son service cartographique. Sa production de cartes planes et cartes de Mercator reflète les itinéraires prescrits par la VOC et, abandonnant tout effet de décoration au profit de la précision, fixe l'image de l'océan Indien.
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