Minot Gormezano

Entre ciel et terre

par Bertrand Vergely

 
 

La métamorphose inversée


Toute transformation est transfiguration. Le sacré dans sa réaction contre le temps ne le comprend pas. La culture, l’art, la philosophie, le font comprendre en invitant à envisager l’existence d’une façon pensante.
La transfiguration au mont Thabor est, à cet égard, singulière. Le religieux est souvent assimilé au sacré, nullement à une transformation et encore moins à une transfiguration. C’est l’inverse qui est montré. Celui-ci se donne à voir comme transfiguration, transformation, métamorphose, métamorphôsis. Cela vient de ce que celui-ci se présente comme parole donnant à entendre et non comme sacré médusant. D’où cette révélation vertigineuse. Le fond des choses est lumière. La terre est ciel. Plus qu’on ne le pense. La terre matérielle de la création artistique laisse parfois entrevoir un tel ciel.
L’art contemporain est cependant partagé à cet égard. Si tous les artistes ressentent l’impérieuse nécessité d’une transformation, cette nécessité étant l’essence de l’art, tous ne vont pas au bout de l’accomplissement de celle-ci. Beaucoup s’arrêtent en route. Les uns, dès la première étape, en cherchant à conquérir une forme d’immortalité à travers la création d’objets investis d’une charge sacrée. Les autres, lors de la seconde étape, en se bornant à désacraliser ce que les premiers ont sacralisé, afin de retrouver au contact de la corruption et de la mort une forme d’authenticité. D’où les déchirements que connaît l’art de la postmodernité. Avec parfois d’étranges croisements.
De désacralisation en désacralisation, il n’est pas rare que l’art tombe dans la sacralisation de cette même désacralisation. La violence de la révolte se fige alors en objet sacré. L’art devient de ce fait la victime d’un mouvement qu’il a pourtant dénoncé. Il se met à désacraliser sa propre désacralisation en investissant de nouveaux territoires du sacré, donnés à l’admiration des foules. Lui qui voulait ne pas se figer, se fige dans la posture de celui qui prétend n’être pas figé.
Il faudra un jour faire l’histoire des alchimies ratées de la culture contemporaine. On comprendra alors son parcours initiatique perdu. On verra comment tous les archétypes fondateurs de l’éveil de la conscience ont été systématiquement inversés. On apercevra que cet art a connu ce qui arrive à des élèves sans maître. Se prenant pour des maîtres, ils errent en faisant errer les autres.
L’art de transformation, l’art d’initiation, est un art qui se règle sur la pensée et l’esprit et qui, pour cela, se plie à sa discipline en intégrant toutes les étapes qui permettent d’y conduire. C’est le sens du travail remarquable de Pierre Minot et de Gilbert Gormezano. Ce travail est l’histoire d’une initiation, d’une métamorphose, d’une transformation, respectueuse de la règle d’or de toute initiation, de toute transformation, de toute métamorphose. Rentrer dans la terre pour y faire émerger l’homme avant de ressortir de cette même terre et de s’ouvrir vers le ciel. De l’extérieur à l’intérieur et de l’intérieur au supérieur, disaient les penseurs médiévaux, afin de résumer le programme du chemin qu’ils déclaraient vouloir poursuivre.
 
Un homme est un homme quand il rassemble en lui les trois dimensions du réel, du personnel et de l’ontologique. Un homme est un homme accompli quand il est à la fois cosmique, anthropologique et ontologique. L’art qui s’est perdu a oublié cette règle d’or. Au lieu de passer par la terre afin d’aller vers le ciel, il devient l’ennemi du ciel et de la lumière, qu’il cherche à rabaisser non seulement à la terre, mais à l’excrémentiel de la terre. D’où des libérations à l’envers déchaînant des forces de violence que la cité devient de moins en moins capable de contrôler à l’intérieur d’elle-même. Ainsi que le fait remarquer Jean Clair dans son ouvrage Marcel Duchamp ou la fin de l’art, la fameuse « fontaine » de Duchamp, cet urinoir dans lequel il avait glissé la photo de ses parents, en dit long sur la violence qui inspire un tel art, compisser ses origines se substituant au fait de les revisiter afin de faire naître en soi l’homme de mémoire et de parole. Il y a dès lors urgence à repenser une transformation qui soit une véritable opposition à ce que le monde peut avoir de violent et non une participation voire une accentuation de cette même violence.
 
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