Minot Gormezano

Entre ciel et terre

par Bertrand Vergely

 
 

Le sens de la terre


La terre et le ciel ont été créés ensemble et ce avant l’homme, nous dit la Bible. Il y a dans cette trinité de la terre, du ciel et de l’homme une profonde sagesse.
La terre, qui renvoie à la matérialité des choses, désigne le réel. Et dans le réel elle désigne la profondeur du réel, la pesanteur de la matérialité ayant tendance à descendre vers le bas.
Rien ne peut se faire sans terre, rien ne pouvant se faire sans réel. Ainsi, le passage de la création vers la terre et la matérialité signifie que nous n’avons pas rêvé et que nous ne rêvons pas. La création a bien eu lieu. Le monde a bien lieu.
Le ciel, qui renvoie à l’immatériel, désigne la liberté. Et dans la liberté il désigne la hauteur et l’élévation de cette liberté, la légèreté de l’immatériel ayant tendance à aller vers le haut.
Rien ne peut se faire sans ciel, rien ne pouvant se faire sans liberté et sans élévation. En ce sens, le passage de la création vers le ciel et l’immatériel signifie que nous pouvons rêver. La création n’est pas refermée sur elle-même. Elle a un avenir.
Le ciel a besoin de la terre. Une liberté qui n’est pas réelle n’est pas une vraie liberté. Une élévation qui n’a pas de profondeur n’élève pas.
La terre a besoin du ciel. Un réel qui ne libère pas, un réel qui n’a ni ouverture ni avenir, emprisonne. Une profondeur qui n’a pas de hauteur, une profondeur que rien n’élève, devient obscure. Et l’on sait que l’on n’est pas obscur parce que l’on est profond ni profond parce que l’on est obscur.
La terre prend ainsi sens d’être une terre pour un ciel. Et le ciel prend sens d’être un ciel pour une terre. Cela permet de comprendre pourquoi la nature fait sens, pourquoi l’univers n’est pas muet. Du fait de la présence du ciel et de la terre, rien n’est isolé. Tout est relié. Tout fait signe. Tout parle d’une générosité primordiale.
La terre et le ciel sont le fond de tout le travail de Pierre Minot et de Gilbert Gormezano. On assiste plus exactement à une descente dans la terre et ses profondeurs, puis à une remontée vers le ciel et ses hauteurs. Ce parcours dit nos vies quand elles vivent ce qu’elles sont appelées à vivre. Un lent éveil. Un bel éveil. D’abord un monde de la mort. Un monde sans terre. Un monde de la « désaffection ». Un monde sans affection, dévasté, délaissé, abandonné, dans la détresse absolue. Puis un éveil à la terre. Une terre convulsée. Une terre des débuts du monde. Une glaise. Une argile. Une roche dure et âpre. Une roche ouvrant sur des gouffres. Des crevasses. Des anfractuosités. Des gorges avec des rivières et des secrets. Puis, une terre de plus en plus libérée. Une terre des cimes. Une terre des forêts profondes parfois aussi. Une terre des lacs et des eaux transparentes. Et avec cette terre, un ciel, le ciel se dégageant au fur et à mesure que la terre se dégage d’elle-même.
Nos vies sont comme ces vies sans terre, puis ces terres qui voilent des ciels avant de les dévoiler et de prendre tout leur essor de terre. Au commencement elles vivent dans l’absurde, la désolation et la déréliction. Puis, peu à peu, elles s’ouvrent au réel. Un réel sans liberté avant que ce réel ne devienne le réel de la liberté elle-même.
Étonnante métamorphose de l’absurde en liberté. Combien d’artistes osent le dire aujourd’hui ? Combien de penseurs ? Que d’œuvres font le trajet inverse en quittant le ciel pour plonger dans la désaffection.
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