Exercices d’iconologie
par Jean-Marie Baldner et Didier Mendibil
Sous ce terme on a choisi de regrouper ici des interrogations
portant plus précisément sur les modalités de la communication
par l’image. Sans faire totalement abstraction de leur contenu référentiel,
il s’agit surtout d’être sensibilisé à l’importance
extrême des contextes de production autant que des contextes de lecture.
Il s’agit également de s’habituer à ne pas enfermer
les images dans un genre, une utilité et une signification afin
de se préparer à les revoir différemment agencées
et mieux comprendre ainsi qu’elles peuvent revivre autrement.
Revivre, relire
Le regard porté sur une collection photographique est toujours complexe
parce qu'il croise une démarche historique (remise de la collection
dans son contexte, inscription dans l'histoire des sociétés,
de l'art, des techniques) et historiographique (questionnement contemporain
de l'historien sur la collection, mise en évidence d'un régime
d'historicité de l'image et des discours sur l'image) à une
démarche d'anachronisme pratique (mise en relation problématique
d'images historiquement sans relation nécessaire à travers
un regard contemporain qui relativise). Ce dernier point vise donc à s'interroger
sur la "lecture" de la collection aujourd'hui à travers
ce qui en fait une archive et une documentation autant qu'un ensemble d'œuvres.
Le point a déjà été abordé, mais il
est nécessaire d'y revenir brièvement, nous ne regardons
pas aujourd'hui les photographies dans le même contexte qu'à la
fin du XIXe et au début du XXe siècle.
L'exposition, par l'accrochage et la présentation en trois entrées
("L'exploration
du monde", "Un siècle de bouleversements", "La
passion de l'inventaire") réorganise, hiérarchise et
parallèlement met sur le même plan, en les amalgamant sur
un mur d'exposition, des collections de photographies très diverses
issues d'une collection qui avait elle-même bouleversé l'organisation
et le statut de départ des photographies et la scénarise.
Il y a loin de la conférence illustrée par une projection
aux salles d'une exposition, même si celle-ci expose quelques verres
de projection.
ACTIVITÉ
Un premier exercice, qui ne peut évidemment restituer
la présentation première des images, consiste à comparer
les logiques sérielles telles que les auteurs ont pu les penser et
la logique de l'exposition.
Télécharger
un texte d'exploration, un récit ou un compte rendu de voyage… dans
le
cabinet de lecture.
Après
lecture, analyse du texte et des rapports texte/image, rechercher les gravures
ou les photographies qui figurent dans l'exposition. Au regard des thèmes
de l'exposition, essayer d'imaginer pourquoi certaines photographies
ont été retenues,
d'autres non.
Dans l'article, mettre en évidence la logique de l'illustration :
pourquoi tel visuel en premier ? pourquoi celui-ci avant et après
ceux-là ? Quel effet produit le rapprochement de tel visuel avec
tel autre ? Découper les reproductions et proposer d'autres logiques
de succession des images.
Dans l'exposition ou dans l'exposition virtuelle, quelles photographies
ont été rapprochées ? Est-ce que leur rapprochement
modifie l'approche de chaque photographie observée isolée ?
Comparer les regroupements faits dans l'exposition et la suite des
reproductions dans l'article ? En quoi un regroupement change-t-il le
sens de l'autre ?
Si possible, monter un diaporama des deux séries pour illustrer deux
exposés, l'un sur le titre de l'article, l'autre sur le thème
de l'exposition.
Écrire, réécrire
Depuis Baudelaire, de nombreux auteurs se sont interrogés sur
la transparence de l'image. A priori quoi de plus simple qu'un
paysage ? Il suffirait de le regarder pour qu'à l'évidence
il prenne sens, donnant ainsi à voir une réalité immédiatement
accessible. Les choses sont-elles si simples ? Quelques exercices permettront
de l'expérimenter.
ACTIVITÉ
Soumettre à la
discussion de petits groupes la même
photographie de paysage en l'accompagnant pour chaque groupe d'une autre
photographie : image de travaux, d'un personnage (Européen ou issu
d'une population locale, pas nécessairement celle du lieu de prise
de vue du paysage), etc. Proposer la rédaction d'un récit
ou d'un texte argumenté (article scientifique, souvenir d'un voyageur,
rapport d'un commerçant, etc.) à partir des deux photographies.
Comparer les textes obtenus.
On pourra poursuivre l'exercice par la lecture
de la collection
Photoroman publiée aux éditions
Thierry Magnier, six titres parus selon le principe suivant, quelques
photos d'un photographe sont données à un écrivain
qui écrit un texte à partir de ces photos sans connaître
le photographe :
- Sylvain Estibal et Yannick Vigouroux,
Naufragée ;
- Ariel Kenig et Eric Franceschi,
Mon œil ;
- Alain André et Olivier Culmann,
La passion, dit Max ;
- Abdelkader Djemaï et Jean-André Bertozzi,
Un taxi vers la
mer ;
- Guillaume Le Touze et Michel Séméniako,
Derrière
le rideau de pluie ;
- Fabrice Vigne et Anne Rehbinder,
Les Giètes.
Choisir
une série de photographies d'un même photographe
ou de plusieurs montrant des travaux, une population, une région,
un paysage rurbain, rural, des monuments, etc. Sur le thème retenu,
rechercher dans un manuel d'histoire, une encyclopédie, sur la toile,
les éléments nécessaires à une connaissance
minimale de la région, de la période et des enjeux des principaux
acteurs. Selon la série choisie, proposer plusieurs scénarios
d'écriture autour des photographies d'après des postures spécifiques :
par exemple celles d'un urbaniste, d'un ethnologue, d'un voyageur, d'un
touriste, d'un policier réfléchissant sur le cadre d'un crime,
etc.
D'après la posture choisie, les images peuvent-elles changer de sens ?
Pourquoi ? Sur le plan théorique on pourra s'appuyer sur le livre
de Marie José Mondzain,
L'image peut-elle tuer ? (Paris,
Bayard, 2002) ; dans le domaine littéraire et artistique sur
Photos
de familles d'Anne-Marie Garat, Paris, Seuil, 1994.
Changer de perspective
Peut-on apprendre à voir ? La question posée par
le colloque organisé par la revue L'image sous la direction
de Laurent Gervereau à l'École nationale supérieure
des beaux-arts en 1998, n'est pas innocente. Le monde l'image est un monde
de l'ambiguïté où chacun peut estimer qu'il construit
sa propre transparence. On pourra poursuivre les exercices précédents
en proposant de réfléchir sur la réalité à laquelle
la photographie donne accès.
ACTIVITÉ
Intervenir
sur une image par des trompe-l'œil. On
pourra réfléchir à partir des images de Georges Rousse
(nombreuses reproductions sur la toile).
Proposer
aux membres d'un groupe de prendre chacun une photographie d'un lieu à partir
d'une consigne différente incluant si possible
des réglages manuels de l'appareil : focalisation sur un aspect
ou un élément du lieu, travail sur la couleur (focaliser sur
une couleur, saturation ou désaturation des couleurs), sur le point
de vue, le cadrage. On pourra accompagner l'exercice d'une découverte
de l'œuvre de Thibaut Cuisset (voir par exemple les articles qui lui
sont consacrés sur
Paris-art.com).
Réaliser
par montage une bande continue d'images (qui peut être
montée en vidéo pour réaliser un défilement)
ou une mosaïque, un diaporama, une vidéo… Réfléchir à la
façon dont ont été agencées les images : quels
sont les critères de juxtaposition, de défilement ?
Demander à chacun de choisir librement, dans l’exposition,
une photographie qui lui donne envie d’écrire. Adopter ensuite
plusieurs phases d’écriture visant successivement plusieurs
objectifs :
- décrire objectivement ce que l’on voit sur l’image ;
- dire ce que l’on pense comprendre de ce qui se passe dans l’image ;
- dire quelle signification générale ou symbolique il est
possible de lui donner ;
- apporter les informations historiques ou scientifiques nécessaires à sa
compréhension ;
- préciser à quel genre, à quelle tradition culturelle
ou professionnelle on peut la rattacher ;
- esquisser une interprétation imaginaire, humoristique, poétique
de l’image ;
- dire quel lien personnel ou pense établir avec cette image ;
- chercher quelle autre image connue ou extraite de l’exposition lui
ressemble.
Le but de cet exercice est de juxtaposer différentes postures de mise
en signification d’une même image afin d’en dérouler
la polysémie et la puissance expressive virtuelle.