L'inventaire géographique universel
par Jean-Marie Baldner et Didier Mendibil
À la découverte du monde
La mondialisation rapide du mode de vie contemporain relève
d’une mise à l’échelle planétaire de l’ensemble
des activités humaines. Tout au long du XIX
e siècle, la Société de
géographie a fortement contribué à une prise
de connaissance mondiale sur laquelle s’est appuyée la dynamique
de l’expansion européenne.
Des blancs sur la carte
Lorsque, il y a un peu plus d’un siècle, Victor
Adolphe Malte-Brun réalisa son
planisphère indiquant
l’état des connaissances géographiques il
n’établissait en fait qu’une carte du monde connu
des seuls occidentaux car, parmi les nombreux blancs de sa carte, beaucoup étaient
tout de même déjà peuplés, en particulier
en Afrique et en Amérique latine.
Cette carte du monde connu des occidentaux montre bien deux choses. En
premier lieu, elle ressemble fort à la carte des plus fortes
densités de l’occupation humaine à la surface terrestre à la
même époque : les principaux foyers de peuplement
y sont la Chine orientale, l’Inde, l’Europe occidentale
et la moitié orientale des États-Unis. Cela n’a
guère changé depuis cette époque d’extension
maximale de l’aire d’occupation agricole du sol. Cette carte
sous estime probablement, en Sibérie, dans le grand nord canadien
et dans toutes les zones arides du monde la connaissance non écrite
qu’ont les populations nomades des territoires qu’ils parcourent.
En second lieu, on constate que la connaissance de la zone intertropicale
est strictement littorale ou orientée par le tracé de fleuves "conducteurs" tels
que l’Amazone, le Mékong, le Niger, l’Orénoque,
le Sénégal, etc. qui ont guidé les explorations
du XIX
e siècle. Cette géographie
strictement européocentrée
n’incorpore donc pas encore les connaissances indigènes
du terrain.
Les véritables blancs de la carte d’alors sont sans doute à chercher
très haut en latitude, dans les deux zones polaires qui, juste
avant la guerre 1914-1918, seront l’enjeu d’une course à la
conquête des pôles très disputée entre les
puissances occidentales.
ACTIVITÉ
Les blancs de la carte évoluent selon les points de
vue dans l'espace et dans le temps. Existe-t-il encore des territoires à découvrir ?
Il est intéressant de se reporter d’abord à une carte des
densités
mondiales de la population contemporaine pour la comparer à la
carte de Malte-Brun et pour se demander s’il existe aujourd’hui
une "terra incognita" encore à découvrir. La vision
aérienne et satellitaire du monde puis la couverture de l’espace
terrestre par le(s) système(s) GPS marquent-elles la fin des explorations ?
Vers où pourraient-elles encore s’orienter en dehors des fonds
marins ou des profondeurs spéléologiques ? Rechercher quels
y seraient les principaux obstacles à la présence humaine.
Visions du monde dans le temps
On se reportera aux cartes anciennes qui remontent à un temps, avant
le XVI
e siècle, où la connaissance du
monde était encore
partagée entre plusieurs civilisations (arabe, indienne, chinoise et
européenne)
avant que les occidentaux ne décident d’aller chercher eux-mêmes
leurs informations "à la source", c’est-à-dire
sur place.
cartes à consulter
Carte
mondiale des densités de population
Le
monde vu par Eratosthène au III
e siècle
avant J.-C.
Le monde vu par Ptolémée
au II
e siècle après J.-C
Le monde vu par le géographe arabe al-Idrisi en 1159
Le monde vu depuis
la Chine en 1767 (on remarquera en haut à gauche
la vision très schématique de la minuscule Europe)
Pour une approche personnalisée
Chacun pourra se demander, devant une carte du monde, quelles parties ou
quels pays il connaît personnellement pour les avoir fréquentés
ou simplement visités ; puis quelles parties ou pays lui sont connus
indirectement par des textes et images transmises par d’autres ;
enfin quelle partie du monde n’a encore que le statut d’image cartographique
ou satellite virtuellement accessible.
Terres inconnues
Depuis l'Antichtone des Grecs, les terres inconnues sont une
source importante d'inspiration pour l'imaginaire des hommes. Les îles,
l'Eldorado, les sources du Nil ou le royaume du prêtre Jean, les antipodes
ou les terres australes… qu'ont en commun ces territoires imaginaires
?
Choisissez l'une de ces terres inconnues et essayez d'en savoir plus.
cartes à consulter
La
carte de Saint-Sever, avant 1072
La
cosmographie de Macrobe, XII
e siècle
Mappemonde
d'Ebstorf, 1239
Atlas
catalan, 1375
Carte-portulan
des côtes européennes et du nord de l'Afrique, 1413
Les îles
Fortunées, 1427
L'Antichtone
des grecs, vers 1465-1470
Le
royaume du prêtre Jean, 1579
Les
terres australes, 1630-1632
Le voyage de découverte
Les blancs de la carte sont plus précisément
situés dans les zones du monde rendues inaccessibles à la
circulation par des obstacles dus à l’intensité du
froid ou de la chaleur, à la grande altitude, à la complexité de
la topographie, à l’épaisseur de la végétation
ou à la présence de populations hostiles à la
pénétration
européenne. Les voyages d’exploration sont donc tous une
marche d’approche qui, partant des hauts lieux citadins de la
civilisation occidentale, empruntent une des grandes lignes d’un
transport transcontinental, le plus souvent maritime avant 1920, puis
d’autres moyens permettant d’atteindre le lieu de départ
de l’exploration proprement dite. De là, une fois muni
de toutes les autorisations administratives nécessaires, l’aventure
commence par le recrutement d’indigènes réputés
connaître les lieux ou les moyens d’atteindre l’objectif
de l’exploration. Celle-ci est presque toujours réalisée
au moyen d’un mode de transport particulier, parfois traditionnel,
parfois un prototype, dont la qualité intrinsèque garantit
le succès ou non de l’expédition. La progression
dans l’espace inconnu met ces hommes et ce vecteur de transport à l’épreuve
tandis que l’explorateur se charge de la rédaction d’un
journal de l’expédition, du relevé cartographique
précis de l’itinéraire parcouru, des observations
scientifiques. Il doit aussi assumer avec autorité et initiative
la gestion des ressources techniques et humaines dont dépend
le succès de l’opération.
Qu’il concerne Christophe Colomb sur l’Atlantique, Jean
Chaffanjon sur l’Orénoque, Scott et Amundsen dans l’Antarctique
ou Apollo 7 sur la Lune, ce schéma se vérifie dans presque
tous les cas. Il y a dans toute aventure d’exploration une dimension à la
fois scientifique et humaine ; souvent s’y trouve aussi
une composante indigène plutôt favorable et une autre
plutôt
hostile mais toujours ambiguë ; en permanence le contraste
est souligné entre modernité et tradition dans la technologie
mise en œuvre : on comprend qu’un tel schéma, en
partie mythique, favorise la mise en récit de ces aventures
et que le récit de voyage soit devenu, surtout au XIXe siècle,
un genre littéraire à part entière.
ACTIVITÉ
Il existe presque toujours un lien très fort, quasi
organique, entre un explorateur et un moyen de transport particulier :
On trouvera dans les collections de la Société de géographie
l’inattendu "tacon" de
Désiré Charnay,
les pirogues
de Chaffanjon ou
les traîneaux de Peary.
On trouvera aussi, dans la littérature
de voyage, la présence fréquente d'animaux accompagnateurs
des héros..
Analysez l’utilisation
que fait Foureau des dromadaires au Sahara en
plein été.
textes à consulter
L'aventure moderne
Pour ce qui concerne l’aventure moderne, on cherchera
dans les récits d’aventuriers contemporains, ce lien particulier établi
entre un héros et un moyen de transport spécialement adapté,
souvent de haute technologie ou délibérément traditionnel : le canot de D’Aboville, le kayak et le traîneau de
Gilles Elkaim, le ballon de Bertrand Piccard et Brian Jones, etc.
Les artistes contemporains
On pourra compléter l'approche des voyages de découverte
par un regard sur les démarches de quelques artistes contemporains
qui réinterprètent la notion d'aventure et l'abordent souvent
de façon humoristique :
Laurent
Tixador et Abraham Poincheval
L'exposition "Le
paysage est une méthode" montée
par Emmanuel Hermange au Domaine Départemental de Chamarande, avec
les œuvres de Riwan Tromeur.
Les formes de la Terre
Ce que l’on découvre au bout du voyage, ce sont principalement
les paysages désertiques les plus désolés, des
sources reculées au fond des forêts équatoriales
ou la ligne de crête de montagnes inaccessibles. Mais aussi, dans
presque tous les cas, un émerveillement devant le spectacle
de la nature. La photographie, abondamment reprise par la gravure, insiste
sur l’étrangeté des
formes des curiosités naturelles. Les thèmes les plus souvent
représentés concernent les formes spectaculaires de l’écoulement
des eaux là où il est le plus agressif (lacs, rapides,
cascades, glaciers), les curiosités minérales et tectoniques
(pitons, falaises, aiguilles) et les sommets ou précipices vertigineux
du relief montagnard. On note un intérêt toujours renouvelé pour
les formes complexes, mystérieuses, fantasmagoriques dessinées
par l’eau dans les calcaires (érosion, concrétions)
ou pour celles issues de l’écoulement des laves volcaniques.
On en trouve de nombreux témoignages, en particulier dans les
premières descriptions données des montagnes de l’Ouest
américain, par exemple dans les
paysages éruptifs et escarpés
du parc de Yellowstone.
Dans ces circonstances, la photographie se révèle un
outil de collecte et de témoignage irremplaçable, comme
le précise Charles Maunoir, secrétaire général
de la Société de géographie, à propos
des photographies qu’il a reçues des États-Unis
en 1876 : "L’authenticité précieuse de la
photographie, surtout en matière géologique, montre sous
son véritable aspect les sources incrustantes du Yellowstone,
les rochers monumentaux du Colorado, les ruines préhistoriques
du San Juan et une quantité de paysages curieux."
Un siècle plus tôt, ces paysages où les forces incontrôlées
de la nature dictent encore leur loi, auraient suscité l’effroi
ou le dégoût de la part d’un public européen
attaché à la maîtrise agricole de son espace. Mais
cette offre d’iconographie naturelle est arrivée au moment
où, après 1880, la part de la population urbaine commençait à croître
rapidement dans la société et, par contrecoup, elle a rencontré et
suscité une attirance nouvelle pour les paysages préservés
de la présence humaine au bord de mer et sur les chemins touristiques
de haute montagne.
ACTIVITÉLa photographie insiste sur
l’étrangeté des formes des curiosités naturelles.
Quelles sont les formes les plus souvent représentées ?
Rechercher les "atouts naturels"
En choisissant n’importe quelle région
touristique française on retrouve l’héritage
de ce goût naturaliste dans la micro-topographie sélective
de l’espace touristique et dans sa représentation par la
littérature de voyage. On peut constater, en effet, l’existence
fréquente de curiosités naturelles retenues comme
thèmes privilégiés par les cartes postales des régions
routières ou par les guides de voyages.
Une recherche sur les "atouts naturels" des régions de
France, par exemple, est très facile à mener sur Internet.
Quels sont les paysages retenus par cette iconographie touristique ?
Quels sont ceux qu’elle néglige ? Il existe toute une géographie
du pittoresque qui détermine fortement les flux du tourisme contemporain.
Prendre de la distance avec les artistes du Land Art
Avec les artistes du Land Art ou plus ou moins apparentés (Robert Smithson,
Nils Udo, Denis Oppenheim, Junichi Kakizaki, Richard Long, Andy Golsworthy,
Tadashi Kawamata, etc.) dont on trouvera des reproductions sur Internet,
de nombreux artistes contemporains interrogent le regard que l'on peut
porter sur les curiosités naturelles, par exemple :
Ian
Baxter N.E. Thing Co, ¼ mile landscape définit
avec humour le début et la fin de l'espace à voir dans un paysage ;
Peter
Hutchinson qui construit des paysages par collage d'éléments
différents ou à différentes échelles ;
Joan Fontcuberta qui, dans ses
Orogenesis, Paysages encryptés,
réalise des paysages de curiosités naturelles à partir
de l'interprétation, par un logiciel, de tableaux anciens et modernes
ou de notices de produits de sécurité.
Toutes ses œuvres sont visibles sur Internet. On pourra donc les découvrir
pour aborder la dimension critique des formes paysagères qui sont proposées
dans l'exposition.
Les ressources de la Terre
L’exploration du monde et l’expansion européenne
ont longtemps été motivées par la recherche de
produits d’origine agricole (épices, sucre, fruits exotiques)
dont on retrouve de nombreuses illustrations dans tous les fonds d’images
relatifs aux terres lointaines et d’outre mer. Il y a aussi dans
les collections de la Société de géographie un
nombre important de photographies qui représentent des installations
minières. C’est dans la tradition de la géographie
de rendre compte de la localisation des ressources minières
et d’en dresser, pour chaque contrée et pour chaque pays,
un inventaire précis. La recherche des ressources minérales
exploitables fait aussi partie de l’inventaire prioritaire que
se doit d’établir tout explorateur à commencer,
bien évidemment, par les matières précieuses.
De fait la découverte de gisements a toujours attiré les
aventuriers puis les investisseurs et enfin la main d’œuvre.
On sait, par exemple, comment la ruée vers l’or a accéléré le
peuplement de la Californie et comment la recherche et l’exploitation
de l’or ou des diamants ont soutenu le peuplement des colonies
britanniques d’Australie et d’Afrique du sud. De tels phénomènes
ont également existé en direction des gisements métallifères
d’Europe centrale, dès le moyen âge et principalement, à la
fin du XIXe siècle avec l’industrialisation et l’urbanisation
des bassins houillers.
ACTIVITÉ
La mine près de chez soi
L’enquête portera sur les mines existant ou ayant existé près
de chez soi et ce qu’elles sont devenues à la fin de leur exploitation.
Les mines peuvent constituer un lieu de visite particulièrement intéressant
et souvent spectaculaire.
Les mines lieux de mémoire
Après avoir longtemps chassé le tourisme, car elles étaient
par excellence les lieux du travail, parfois forcé, les mines deviennent
les lieux d’un tourisme contemporain actif et inspirent le regard des
photographes d’aujourd’hui, en tant que lieux de mémoire
du travail et de la souffrance humaine ou par la spécificité d’une
architecture intéressant l’archéologie industrielle.
document à consulter
Les
photographies de Julien Guezennec dans la mine de Ruda Slaska en Silésie
(Pologne) ;
Les
mines de sel de Wieliczka (Pologne) classées au patrimoine
mondial de l’Unesco ;
Le
centre historique minier de Lewarde (France), prototype français
de ce "musée de la mine" que l’on
pourrait, à terme, retrouver partout où les hommes ont systématiquement
fouillé la terre.
Albums photo
L'enquête locale peut être illustrée par quelques photographies
d'exploitations minières à ciel découvert souvent réalisables
sans pénétrer sur le site. Ces photographies peuvent ensuite donner
lieu à des écrits imaginaires sur la découverte, l'exploitation,
etc.