Photographie et environnement
par Jean-Marie Baldner et Didier Mendibil
Toute collection de photographie se caractérise par
ce sur quoi elle focalise l’attention d’un public. Mais, de
ce fait, elle se distingue aussi par ce qu’elle montre moins voire
par ce qu’elle ne montre pas. Dans le cas des photographies de la
Société de
géographie, c’est la banalité des vues du quotidien,
des lieux ordinaires et des environs proches qui a été systématiquement
occultée par la dimension exceptionnelle, exotique et spectaculaire
des vues du monde lointain. Pourtant, on ne peut pas nier le fait que c’est
la croissance du mode de vie urbain qui a progressivement généré un
intérêt collectif de plus en plus fort pour le spectacle de
la nature sauvage. Alors que celle-ci avait été durablement
jugée horrible lorsque la vie agricole s’imposait partout
et que les villes étaient encore peu développées,
elle est devenue belle et désirable quand les populations ont commencé à se
concentrer dans les espaces urbanisés. C’est ainsi que l’envie
contemporaine du désert a trouvé sa source dans les multitudes
urbaines. Le changement complet des modes de vie s’est donc accompagné,
dès la fin du XIX
e siècle, d’un changement radical
des points de vue portés sur le monde.
La protection de la nature et des paysages
Les dernières décennies du XIX
e siècle
ont été marquées, en Europe, par l’extension
maximale de l’occupation agricole du sol. Quand on examine les
statistiques démographiques établies par les services communaux
de l’état civil en France, c’est bien souvent en 1881
que se place le maximum de population atteint par les communes rurales.
Dans ce contexte de fortes densités rurales se réactive
une inquiétude déjà ancienne en France devant le
recul d’un paysage forestier que l’on a vu partout défriché pour être
mis en culture.
Les forestiers ont été les premiers à s’en
inquiéter lorsqu’au moment des graves inondations des années
1850-1860, ils ont pu constater les conséquences redoutables de
la dégradation des versants montagnards par le ravinement des
pentes défrichées. Leur diagnostic fut appuyé et
légitimé par d’habiles enquêtes photographiques
réalisées sur le terrain à l’aide des chambres
photographiques F. Jonte dont avaient été dotés
les services départementaux de l’Office National des Forêts.
Ces chambres photographiques "de voyage", en bois
de noyer, laiton et bronze, utilisaient des châssis pouvant contenir
deux plaques de verres photosensibles. Elles firent merveille pour convaincre
les gouvernements du Second Empire et de la III
e République de l’impérieuse
nécessité de la "restauration des terrains de
montagne" (RTM). C’est ainsi que fut désignée
la première grande opération de protection de l’environnement
due à l’initiative de l’Etat et imposée aux collectivités
rurales comme aux particuliers pour son utilité publique. Après
avoir justifié et préparé les travaux d’aménagement,
les photographies de la RTM servirent à illustrer l’avancement
des nombreux travaux de terrassement et de plantation engagés et,
par la comparaison des clichés pris chaque année aux mêmes
endroits, à montrer la reconquête des versants par une nouvelle
végétation forestière.
C’est à la même époque, d’ailleurs, que
Napoléon III engagea également les grands travaux de reforestation
des sols marécageux dans les landes d’Aquitaine. Toutefois,
la généralisation de ces opérations ne fut pas encore
jugée nécessaire car le recours massif à l’utilisation
du charbon, comme source de chauffage et de production d’énergie
pour l’industrie retarda d’autant l’épuisement
redouté des ressources forestières dans les pays industrialisés.
C’est jusqu’à à la deuxième moitié du
XX
e siècle que fut repoussée cette
nouvelle prise de conscience de la nécessaire protection des forêts
sur laquelle se fondent aujourd’hui à la fois les revendications
des écologistes et, en partie, la législation en vigueur
sur la protection des sites et des paysages.
ACTIVITÉ
Pour constater l’efficacité de la photographie
dans ce domaine, il suffit de rechercher dans ses collections personnelles
des clichés pris dans l’environnement familier et d’y
observer attentivement ce qu’elles révèlent, a
posteriori,
de la croissance des végétaux qu’elles représentent. À défaut, rien
de tel que de comparer, d’une année sur l’autre, la croissance
des végétaux en photographiant un même endroit à partir
d’un point de vue identique. L’effet est généralement
saisissant s’il y a des arbres dans le paysage.
C’est donc dans les espaces miniers que se concentra,
pour un temps, l’ouverture de chantiers à ciel ouvert dont
certains prirent rapidement une ampleur exceptionnelle. On commença
aussitôt à s’inquiéter des marques indélébiles
qu’ils laissaient, en particulier dans les "pays noirs" où se
concentraient excavations, terrils, industries lourdes, chemins de fer
et habitats ouvriers plus ou moins bien construits. Tant que la croissance économique
de ces pôles industriels y fit régner le plein emploi et
la prospérité, on se soucia peu du bouleversement des paysages
mais, avec le reflux du charbon dans le bilan énergétique
des pays industrialisés, vint le moment où l’on commença à considérer
avec inquiétude et réprobation les atteintes durablement
portées à l’environnement.
Le reportage photographiqueque
Henry de Witt Moulton réalisa aux îles Chinchas peu avant
1865, illustre également l’usage parfois dénonciateur
de la photographie. S’il indique bien l’intérêt économique
remarquable des gisements de "guano" accumulés
pendant des siècles sur ces îles chiliennes par des colonies
d’oiseaux de mer, il en dénonce également les excès :
d’une part une exploitation accélérée et dévastatrice
de la ressource naturelle ; d’autre part des conditions de
travail particulièrement pénibles pour des personnels d’origine
chinoise attachés à leur pénible tâche.
L’article publié à ce sujet par
Louis Simonin en 1868 confirme ce fait.
Ainsi vit-on s’affirmer dans l’opinion des pays industrialisés
une sensibilité nouvelle à l’égard de la nature
qui s’affirma avec assez de force, au début du XX
e siècle,
pour installer les bases scientifiques et légales des futures politiques
de l’environnement en France :
1906 : loi
sur la protection des sites et des monuments naturels ;
1909
: premier congrès international pour la protection des paysages, à Paris ;
1913
: congrès forestier international et création d’un
parc naturel dans l’Oisans ;
1919
: loi Cornudet sur les plans d’urbanisme et sur l’embellissement
des villes.
Si l’on souhaite, à ce stade, orienter la réflexion
vers la politique contemporaine de protection de l’environnement
on trouvera le point de départ de plusieurs pistes de travail
avec le portail du
Ministère de l’Ecologie, du Développement
et de l’Aménagement Durables.
Permanence et changement des paysages
Mais quels sont les paysages à protéger en priorité ? À quoi
et comment les reconnaît-on ?
Pour le photographe Samuel Bourne, c’est clair, le
paysage le plus pittoresque est celui qui équilibre les différents éléments
composant le tableau de la nature : rochers, arbres, eaux vives,
constructions, personnages. La beauté d’un paysage se mesure
donc principalement à la
diversité des objets et des nuances lumineuses qu’il met en
scène. Ces critères esthétiques hérités
de la tradition picturale guident la composition et le choix des points
de vue privilégiés par ce photographe.
Pour le géographe, également, la diversité des éléments
visibles peut constituer un des critères d’identification de la
qualité d’un paysage. Mais elle n’est pas affirmée
comme un critère esthétique en soi. Il s’agit plutôt
d’y trouver la preuve visuelle d’un équilibre, voire d’un
ordre interne au paysage. Sa beauté ne serait alors que la manifestation
d’un état d’harmonie établi entre les différentes énergies
qui le traversent et l’animent. Ainsi, lorsque Vidal de la Blache
observe un paysage, il est particulièrement attentif à l’interaction
des masses minérales, de l’énergie des eaux, de la vitalité des
végétaux et du travail des agriculteurs. La "belle
venue" des arbres, l’élégance de l’architecture,
la variété des formes topographiques et la diversité apparente
des cultures sont autant de signes de la qualité d’une vie agricole
en harmonie avec son milieu naturel. Tous ces critères visant à objectiver
l’efficacité locale de la civilisation agricole sont également
devenus, par assimilation progressive, des critères de qualité esthétique
même quand ce mode de vie a cessé d’être majoritaire.
Il en subsiste une sorte de paysage idéal qui fait perdurer dans les esprits
la polyculture familiale comme modèle implicite de l’harmonie du
paysage et l’horticulture comme un idéal de l’être au
monde.
Le rôle des arbres dans le paysage est, on le sait, tout à fait
essentiel car ils constituent des repères culturels et esthétiques
essentiels. Ils établissent instantanément le lieu et, parfois,
l’époque d’une prise de vue : le type d’arbre,
s’il est assez emblématique, précise la nature du milieu ;
son feuillage ou sa floraison indiquent la saison ; son ampleur et son mode
d’intégration à l’habitat ou à la voierie informent
sur le statut du lieu : un centre-ville, un parc, une allée monumentale,
une lisière urbaine, la campagne.
Ajoutons que l’arbre est d’autant plus significatif, parfois, que
le paysage est plus urbanisé car le grand arbre, le massif de végétaux,
l’allée plantée ou la haie d’arbustes signalent efficacement
le statut – public ou privé, prestigieux ou ordinaire – du
lieu qu’ils entourent et agrémentent de leurs feuillages choisis.
La plantation, le parc, le parterre, la jardinière et le pot de fleur
sont des constituants essentiels du paysage urbain et, parfois, de la politique
urbaine. Les constructeurs des villes de la fin du XIX
e siècle l’ont
bien illustré : les boulevards ombragés de platanes, les jardins
botaniques et leur serres, les parcs urbains et leurs massifs de conifères
et de saules, les jardins privés ombragés par les cèdres
et les promenades du bord de mers plantées de palmiers en attestent.
ACTIVITÉ On parviendra
rapidement à une sensibilisation sur ce sujet en observant attentivement
et sélectivement des photographies prises dans le quartier pour souligner
(voire surligner graphiquement) la place qu’occupent les végétaux
dans le paysage urbain. On y distinguera tout particulièrement les
espaces et objets verts publics ou privés. On s’interrogera sur
leurs emplacements, les effets esthétiques recherchés, leur
plus ou moins grand nombre, leur entretien plus ou moins soigné, leur
aspect "sauvage" ou "apprivoisé" … afin
de systématiser les observations et de bien comprendre l’importance
contemporaine de cet habillage décoratif de notre environnement.
En 1989, le Ministère de l’Environnement français
a cherché à préciser le partage des dimensions personnelle
et collective dans l’appréciation des paysages. « Mon
paysage, le paysage préféré des français »,
une grande enquête d’opinion confiée à Lucien
Clergue et Françoise Dubost, consista à demander aux français
de photographier un paysage dans leur environnement proche et de justifier
leur choix par écrit. Cette enquête révéla une
forte sensibilité des français à la qualité du
paysage environnant et, tout particulièrement, l’inquiétude
de le voir se transformer rapidement dans l’idée d’une
dégradation corrélative de leur qualité de vie. Elle
fit apparaître également la forte coloration naturaliste et
anti-urbaine de la notion même de paysage tout en confirmant la permanence
des critères esthétiques traditionnels évoqués
plus haut dans les jugements de valeur portés sur les paysages.
ACTIVITÉ
Il serait très intéressant de reprendre la même procédure
d’enquête en demandant à chacun de prendre la photographie
de son paysage préféré et de justifier son choix par écrit.
On peut aussi, pour faciliter l’entrée dans l’exercice, le
faire précéder par le travail un peu différent consistant à choisir
d’abord un paysage que l’on n’aime pas. En effet le mode
"critique" peut
se révéler plus facile d’accès car il est sans doute
plus répandu et donc plus conventionnel dans certains contextes urbains.
En revanche le mode "préférentiel" suppose
que chacun découvre un peu ses goûts, ses habitudes et sa sensibilité.
Dans tous les cas, bien sûr il ne s’agit pas d’établir
une hiérarchie entre les choix personnels opérés et justifiés.
L’objectif de ce travail est de dégager trois aspects principaux
dans l’appréciation de la qualité des paysages : d’abord
sa dimension personnelle fortement biographique car tout paysage familier
est d’abord
un espace vécu personnellement ; ensuite la prégnance de
certains critères culturels et esthétiques conduisant à valoriser
tel ou tel type de paysage ; enfin les clivages, les avis partagés,
les conflits de valeurs qui ne manqueront pas de surgir pour illustrer telle
ou telle particularité locale, tel ou tel enjeu circonstancié dont
il sera certainement très intéressant de discuter car on touchera
là au plus près de la réalité paysagère, à son
vécu collectif localisé.
À peu près à la même époque un autre aspect
de l’histoire du paysage français avait attiré l’attention
des pouvoirs publics et, en l’espèce, tout particulièrement
celle de la Délégation à l’Aménagement
du Territoire et à l’Aménagement Régional (l’ex
DATAR) : c’est la prise de conscience des grands changements
visuels que lui avait fait subir l’urbanisation au cours des "trente
glorieuses" et surtout du fait que ce changement d’environnement était
mal vécu par une partie de la population prête à croire à ce
que certains n’hésitaient pas à qualifier de "mort
du paysage". Afin de percevoir les détails d’un
changement du paysage qui semblait s’accélérer et, en
même temps, afin de prendre conscience des transformations nombreuses
et des dégradations éventuelles que la croissance économique
et urbaine faisait encore subir au paysage, il fut décidé de
mobiliser l’attention d’un grand nombre de photographes par
la mise en place d’une procédure d’observation systématique
du paysage en certains points librement choisis par les opérateurs.
Comme avait commencé à le faire Giorgio Sommer, sur le port
de Naples entre 1860 et 1876,
il s’agissait de photographier de la même façon le même
endroit à plusieurs années d’intervalle afin d’en
mesurer les transformations.
Il s’agissait aussi, dans certains cas,
de poursuivre le travail photographique de surveillance des sites entrepris
en France à la fin du XIX
e siècle dans le cadre de la restauration
des terrains de montagne (RTM) évoqué précédemment.
Ainsi a été constitué au début des années
1980, donc un siècle après la mission de l’ONF, un Observatoire
Photographique du Paysage dont l’actuel Ministère de l’Environnement
a prolongé la mission.
L’Observatoire Photographique du Paysag
e a sollicité la
collaboration de plusieurs photographes que ce sujet intéressait.
On retrouvera donc facilement sur internet la trace et les photographies
de Dominique Auerbacher, Alain Ceccaroli, Thibaut Cuisset, John Davies, Raymond
Depardon, Gérard Dufresne, Gilbert Fastenaeckens, Pierre de Fenoyl,
Sophie Ristelhueber pour ne citer que les plus engagés dans cette
entreprise spatio-temporelle qui a ouvert les yeux de notre société sur
sa propre transformation physique et paysagère.
ACTIVITÉ
Pour se convaincre du caractère à la fois irremplaçable
et souvent inattendu des résultats obtenus par cette technologie
de la "reprise de vue" il suffit de suivre quelques
liens relatifs aux transformations récentes des paysages ruraux ou
encore plus nettement à celles des paysages littoraux, et, principalement
au bouleversement effectif de certains paysages urbains :
sites à consulter
Observatoire
Photographique du Paysage dans les Cévennes
Outil
d’observation des paysages Morbihan
Commune
de Montreuil, dans la proche banlieue Est de Paris
La procédure de collecte consistant à réactiver
le même point de prise de vue en adoptant, à une date et à une
heure identiques, un cadrage strictement équivalent, mais décalé dans
le temps, peut constituer une piste pédagogique originale. Elle aidera à améliorer
l’observation précise des séries de photographies dont
la ressemblance apparente pourrait ne pas soutenir l’attention a priori.
Il s’agira d’abord d’observer les moindres décalages
du point de prise de vue et du cadrage ; puis on examinera les variations
apparemment dues au changement d’heure et de luminosité avant
de s’intéresser au changement du paysage lui-même. L’utilisation
d’une feuille de papier calque aidera à repérer avec
précision ce qui a changé à la surface de chaque cliché.
On constatera alors, bien évidemment, la grande variabilité des
vitesses du changement par exemple entre un hameau rural animé par
les cycles culturaux ou par une rénovation à caractère
touristique et un habitat de lisière urbaine d’où les
vagues d’urbanisation ont effacé presque toutes les traces
d’une vie "historique" qu’on leur dénie
souvent.
Dans un deuxième temps n’importe quelle photographie, ancienne
ou récente, pourvu qu’elle ait été prise dans l’environnement
proche, pourra donner lieu à la mise en œuvre de tentatives de
"reprises".
On veillera, d’abord, à faire respecter la similitude des paramètres
de prise de vue (au besoin en trouvant les moyens d’en conserver des traces écrites
précises) puis on attirera l’attention sur l’intérêt
des observations rendues possibles par cette technique. Sans aller jusqu’à travailler à l’échelle
annuelle, les variations quotidiennes ou hebdomadaires du paysage urbain
liées
soit aux rythmes du travail, soit à ceux du jour de la semaine,
soit même à l’avancement des chantiers de construction seront
immanquablement mise en lumière par l’application de ce protocole
d’enquête s’il est rigoureusement conduit.
Cette méthodologie ouvre des perspectives intéressantes sur la
façon dont on peut donc penser pouvoir utiliser les fonds photographiques
anciens pourvu que leur archivage ait été correctement réalisé.
On peut, comme l’a fait le photographe Daniel Quesney,
suivre
les pas d’Atget dans Paris. On peut imaginer que les collections de
la Société de
géographie puissent donner lieu à des reprises photographiques
guidées par le désir de revenir sur les pas de tel ou tel explorateur
pour mesurer l’ampleur des transformations du monde intervenues depuis
la fin du XIX
e siècle. Mais pour ce qui est
des changements de l’environnement
proche, en dehors des collections de cartes postales où l’on cherchera
souvent la vue inaugurant de telles séries d’images, c’est
déjà dans les fonds d’archives de photographies aériennes
telles que celles de l’Institut Géographique National qu’il
faudrait commencer à les rechercher pour pouvoir les comparer facilement
aux données contemporaines que proposent des sites tels que
Google
Earth ou
Géoportail.
Cette mémoire des images du
monde est en train de s’interconnecter lentement sous l’effet encore
dispersé de multiples initiatives au fur et à mesure que les nouvelles
technologies en favorisent la mise à la disposition du public.
La construction de paysages identitaires
Dans les trésors de la Société de
géographie exposés on trouve des photographies et des cartes
des États-Unis d’Amérique. Les photographies ont été prises
entre 1867 et 1879 dans le cadre des « Geological
Explorations of the Fortieth Parallel ». Ces explorations
conduites sous la responsabilité de scientifiques tels que King,
Wheeler, Hayden ou Powell ont toutes été accompagnées
par des témoins visuels, peintres ou photographes, qui ont beaucoup
contribué à la diffusion de leurs découvertes. Ce
sont les photographes John K Hillers, William Henry Jackson et Timothy
O’Sullivan qui ont en quelque sorte inventé l’image
du "far west" que le cinéma hollywoodien
a ensuite popularisée dans les années 1930.
Mais comment expliquer la présence de ces documents à Paris ?
Principalement parce que Hayden avait adhéré en 1875 à la
Société de géographie de Paris et parce que, en tant
que correspondant américain de cette vénérable institution,
dont l’autorité scientifique était alors culminante,
il l’avait scrupuleusement informée de ses découvertes.
Il avait ensuite été imité par tous les autres explorateurs
du grand ouest dont la rivalité était accentuée par
le constat partagé de la fin de l’exploration du territoire
et par la crainte de la fin du financement de leurs expéditions
scientifiques par le gouvernement des États-Unis.
Mais pourquoi ces paysages sont-ils devenus aussi célèbres ?
Pourquoi sont-ils aussi devenus plus tard des symboles nationaux dont l’image
a circulé dans le monde entier ? On peut essayer d’en expliquer
la puissance esthétique et morale à partir des sentiments éprouvés à la
vue des photographies reproduites ici :
texte à consulter
Michel Foucher,
Un paysage en technicolor
ACTIVITÉ
Parmi les photographies de l’exposition reproduites ici,
lesquelles sont conformes au modèle décrit par le géographe
Michel Foucher ?
texte à consulter
Michel Foucher,
Un paysage en technicolor
On sait que la réception des grandioses paysages de l’Ouest
américain a été préparée, à l’Est
et dès le début du XIXe siècle, par les peintres paysagistes
qui avaient emprunté à Thomas Cole une relation à la
fois romantique, réaliste et mythique aux paysages de leur pays.
Ces grands espaces apparemment vierges de toute présence humaine
où tout individu se retrouve en face à face avec l’immensité,
la beauté et le mystère de la création du monde, engendrent
une réflexion sur la condition existentielle de l’homme à laquelle
se mêlent, immanquablement aux États-Unis, les élans
mythiques et le sentiment religieux. La beauté des paysages, le vide
apparent qu’ils révèlent et leur position de cœur
montagnard d’un jeune pays, ont "tout naturellement" constitué un
axe central de l’emblématique nationale. On retrouve d’ailleurs
un mécanisme mental et culturel du même ordre dans l’émergence,
en France à la même époque, d’un Massif Central
dont l’identité géologique et historique (en tant que
cœur celtique du pays) vient de se constituer ; et le même
mécanisme est encore plus flagrant en Espagne où la sierra
de Guadarrama, parcourue et photographiée par les excursionnistes
imitateurs de Francisco Giner de los Rios, devient alors la colonne vertébrale
de la monarchie castillane dans la mythologie nationale. Dans de nombreux
pays le sentiment national semble s’être ancré et matérialisé dans
quelques paysages identitaires dont les images ont ensuite symbolisé la
permanence.
La première officialisation du rôle emblématique des paysages
du "far west" fut la décision prise par le
Sénat américain de créer un parc national sur le site
de Yellowstone. Le canyon du Colorado ou Monument Valley sont aujourd’hui
les sites naturels les plus visités des États-Unis alors qu’ils
n’ont pourtant joué aucun rôle dans la "conquête
de l’ouest". Ils portent juste le souvenir d’un espace
largement ouvert à l’aventure.
ACTIVITÉ Le canyon
de Chelle (photo ci-dessus), photographié par Timothy O’Sullivan
en 1873, est un des paysages les plus emblématiques des États-Unis.
On tentera d’en trouver les raisons.