arrêt sur
vers l'accueil objets dans l'objectif

accumulations

L'accumulation, plus anarchique que les séries où se répète un seul et même objet, et plus aléatoire que les arrangements nés d'une intervention de l'opérateur, était un motif propre à séduire les surréaliste et les photographes-poètes des années 1950, à l'opposé de l'esthétique épurée de la Nouvelle Objectivité. On doit aussi comprendre ce goût pour le hasard des entassements poétiques comme une réaction humaniste à un monde de plus en plus déshumanisé, rationalisé par les productions en série de l'industrie.

assemblages circonstanciels

Louis Émile Durandelle : "Modèles en plâtre destinés au décor du théâtre du Vaudeville"
C'est principalement par la connaissance de ce très riche corpus d'images produites au XXe siècle que l'on peut tenter d'isoler dans la production du siècle précédent, des œuvres susceptibles d'être vues comme sa préfiguration. En effet cet attendrissement nostalgique sur les objets de rencontre est complètement étranger aux thèmes abordés par les photographes du XIXe siècle. Il s'agit donc plutôt de relever des coïncidences visuelles que d'écrire l'histoire d'un courant. Nous savons cependant que ces filiations subjectives ou arbitraires jouent actuellement un rôle essentiel dans l'histoire de la photographie et dans les choix opérés pour la constitution de collections publiques et privées de photographies.
Ingénieur Cannelle : Saints de l'église recueillis dans un rancho après le tremblement de terre du 7 septembre 1882
Félix Teynard : "Assouan. Cimetière arabe. Inscriptions funéraires"Auteur non identifié : atelier de Mariano Fortuny à Rome, villa Martinori
Qu'ont en commun en effet, si ce n'est d'être choisies et rassemblées par nous, des œuvres aussi différentes que celles de Cannelle, Félix Teynard ou de Durandelle ? Statues religieuses recueillies à la hâte après un tremblement de terre au Panama, pierres tombales d'un cimetière arabe d'Assouan, moulages décoratifs sur le chantier du théâtre du Vaudeville à Paris, fouillis d'étoffes précieuses dans l'atelier de Fortuny, ces assemblages circonstanciels ont une évidente beauté formelle qui n'a pas du échapper au photographe même s'il ne cherchait pas à réaliser là une œuvre purement esthétique, si le contenu de documentation était sa motivation première.

rencontres fortuites

Atget, plus téméraire explorateur, s'aventure sur la terra incognita des ferrailleurs et des chiffonniers et archive l'indescriptible magma qu'ils ont rassemblé. Cet univers devient un des lieux de prédilection des surréalistes qui y traquent les rapprochements insolites d'objets hétéroclites, de préférence inutiles et anodins, dont la collision fait surgir un supplément de sens et une nouvelle forme de beauté.
Que Gisèle Freund ait choisi de portraiturer André Breton au milieu d'une brocante n'a ainsi rien d'un hasard. Erigeant en credo la provocation de Lautréamont, les surréalistes définissent en effet la beauté comme la rencontre fortuite sur une table d'opération d'une machine à coudre et d'un parapluie.
Eugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Boutique 63 rue de Sèvres"
Eugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" FerrailleurEugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" Boutique de marchand de chaussuresEugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" Fripier
Cette attention particulière portée aux accumulations disparates explique leur émerveillement dès les années 1920 pour les photographies d'étalages, de vitrines, voire de dépotoirs prises à des fins documentaires par Eugène Atget.

regards d'aujourd'hui sur des objets oubliés

Héritiers de ce double regard, nous sommes aujourd'hui sensibles à la beauté de certaines photographies documentaires montrant l'entassement d'objets divers et variés. Telle photographie de reportage des frères Séeberger sur les amoncellements de colis pour les prisonniers dans une gare en 1943 nous paraît ainsi intéressante pour son esthétique cellulaire et organique. Tel autre reportage de Laure Albin-Guillot dans les réserves du musée du Louvre pendant la Seconde Guerre mondiale peut être perçu comme la vision d'une mystérieuse réunion souterraine.
Laure Albin-Guillot : "Les Statues du Louvre pendant la guerre"
Laure Albin-Guillot : "Les Statues du Louvre pendant la guerre"Albert et Jean Séeberger : "L'entrepôt général pour la zone Nord, des colis destinés aux prisonniers de guerre. Gare de Paris, La Chapelle"
De manière plus générale, la richesse de sens inhérente aux accumulations d'objets, inspire les photographes sensibles à la poésie du rebut, de l'objet trouvé et du quotidien.
Lieux d'accumulations par excellence, les marchés aux puces et les foires à la ferraille sont pour eux un terrain d'exploration privilégié, que ce soit à l'occasion de reportages de commande (Germaine Krull) ou de promenades contemplatives (Georges Viollon, René-Jacques).
Le très classique Sougez cède lui-même aux charmes de la poésie d'un amas d'objets oubliés. Dans un grenier familial, mis en scène par ses soins, il juxtapose des éléments susceptibles, dans l'imaginaire collectif de ses contemporains, d'éveiller la nostalgie de l'enfance (cage à oiseau, cheval de bois...)
Dans une forme toute différente, les rayogrammes où Man Ray dépose toutes sortes d'objets banals et hétéroclites, sont une version immatérielle et provoquée de l'accumulation qui inspire les photographes modernes.