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séries / typologies

Photographie Schneider : Projectiles divers fabriqués au Creusot
Photographie Schneider : Projectiles de 520, 320, 280, et 220 en cours de réception au CreusotPhotographie Schneider : Série d'obus en acier embouti en fabrication à l'usine du Creusot

l'esthétique de la répétition

L'idée d'une esthétique née de la répétition d'un même objet sous une forme absolument identique n'existe pas au XIXe siècle. La photographie documentaire n'en fournit elle-même guère de traces. De cette exaltation lyrique de la production de masse, si fréquente cent ans plus tard, nous ne trouvons que de rares exemples. Ce que l'on photographie alors dans les usines toutes neuves ce sont les machines. Quelques images présentées ici ont été choisies dans des registres très divers entrent par des voies détournées dans ce thème sciemment exploité au XXe siècle.
La commande passée à Bruno Braquehais par un fabriquant de pendules en 1873 est un des rares exemples de l'usage publicitaire de la photographie avant 1900. Sans doute parce que la publicité préfère alors des gravures et des chromolithographie brillamment colorées et joue sur des arguments de vente plus séduisants que la production de masse.
Eugène Atget : "Métiers, boutiques et étalages de Paris. Boutique 63 rue de Sèvres"
Bruno Braquehais : "Modèles de pendules"Auteur non identifié : "Têtes (Tamerlan)"
On découvre dans l'atelier du peintre et sculpteur Jean-Léon Gérôme une cloison de bois brut couverte de têtes en plâtre patiné : ce sont les variations de l'inspiration de l'artiste autour d'une même idée qui produisent un effet de répétition alors que chacune de ces œuvres est unique et différente.
Plus tard, un piéton de Paris aussi attentif qu'Atget, relève au gré de ses promenades dans la capitale, l'étalage d'un cordonnier ou d'un réparateur de poupées dont la marchandise semble homogène au premier regard alors qu'il n'en est rien.
L'atelier photographique des usines Schneider du Creusot fournit un reportage très significatif sur la fabrication des armes durant la Première Guerre mondiale : la "photographie de classe" des obus dûment numérotés et présentés sur plusieurs rangs révèle un réel souci d'efficacité visuelle de la part du photographe. La méthode n'est pas encore parfaitement au point : on y pressent cependant l'esprit des grands reportages dans les usines des années d'entre-deux-guerres.

un leitmotiv du monde moderne

René-Jacques : "Usines Renault"
Les objets en séries sont en effet le motif, même le leitmotiv, par excellence du monde moderne. Indissociables du contexte économique et social, ils s'inscrivent dans une ère faite d'abondance des marchés, de production industrielle de masse, et, dans les années trente, de mouvements de foule organisés. Ces Temps modernes pour reprendre le titre du célèbre film de Charlie Chaplin influencent l'esthétique, suscitent un engouement pour les répétitions visuelles de motifs identiques (séries) ou similaires (typologies).
La photographie, image mécanique et multipliable à l'infini, montre une prédilection naturelle pour l'objet manufacturé, sériel par définition.
Robert Doisneau : "Fabrique de chaussettes à Troyes"Rogi André : "Étalage de poupées"
Chantres de la modernité industrielle ou stipendiés par les producteurs, les jeunes photographes s'ingénient à rendre compte, par des effets de diagonales et de perspective profonde, d'interminables chaînes de production – de voitures par René-Jacques ou de chaussettes par Doisneau – et de l'abondance intarissable des biens offerts à la consommation dont témoigne l'étalage de poupées photographié par Rogi André.

une illusion d'abondance

 François Tuefferd : "Pèr´Lustucru"Laure Albin-Guillot : "Publicité pour Salantale" Rose Nadau : "Souvenirs"
En matière de publicité, la série – et la typologie, son corollaire – suggèrent la production pléthorique et la variété des gammes de produits proposés par une marque. Laure Albin-Guillot et François Tuefferd donnent respectivement cette illusion d'abondance et de choix par une cascade de tubes de pommade Salantale et la multiple surimpression de paquets de pâtes Lustucru.
Après la Seconde Guerre mondiale, les photographes portent un regard plus amusé, distant voire critique sur une production absurdement florissante et des marchands noyés parmi une infinité de produits similaires, brosses chinoises pour Cartier-Bresson ou souvenirs de la tour Eiffel pour Rose Nadau.

une esthétique graphique

Les créations à vocation purement esthétique de la Nouvelle Photographie partagent cette fascination visuelle pour la répétition d'un motif. Dans les photographies de Sougez notamment, qu'il s'agisse de piles de linge ou de sardines disposées en rond, la multiplication de choses simples et leur organisation en ensembles graphiques élaborés détachent le plus trivial des objets de sa fonctionnalité première pour en dégager une esthétique élémentaire.
Emmanuel Sougez : "Linge"
 Emmanuel Sougez : "Les Sardines I" Man Ray : "Les Harpes"
Certains photographes, enfin, voient dans la répétition du même une forme de poésie du nombre, arrachant les choses à leur sens commun, telles les altières harpes de Man Ray tenant salon dans une petite pièce ou, cadrées par Brassaï, les milliers de chemises séchant dans une pittoresque ruelle de Palerme.