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plans rapprochés / cadrages serrés

Photographier un objet au plus près, en remplir entièrement la surface de l'image, en enregistrer tous les détails, la texture, la matière, est un des buts que l'on a évidemment assigné à la photographie dès l'origine : fournir au scientifique, au collectionneur, à tous les types de spécialistes une documentation fiable, précise, rapidement et sûrement constituée.

l'objet mis hors contexte

L. Caldesi and C° : "Elgin Marbles, British Museum. Upper part of the torso of Neptune"
 Charles Aubry : "Bouquet de pivoines"Charles Aubry : "Berce à longue feuille"Charles Aubry : "Hébécline à grandes feuilles"
Pourtant cadrer serré demande paradoxalement une grande habileté technique et visuelle tant il est difficile et pour ainsi dire, contre nature, d'arracher matériellement les objets au monde qui les contient.
Aussi ce genre d'exercice se pratique-t-il surtout, au XIXe siècle, dans le cadre de projets scientifiques et/ou artistiques spécifiques. Les pièces de musée en particulier, déjà soclées et numérotées, sont les proies idéales pour ces pratiques. Les parties les plus décoratives des végétaux isolées soigneusement par Charles Aubry puis Karl Blossfeldt au XXe siècle se retrouvent épinglées comme des papillons, mises en relief comme des sculptures.
Félix Nadar : "Maquettes d'hélicoptère de Ponton d'Amécourt"
Félix Nadar : "Maquettes d'hélicoptère de Ponton d'Amécourt"Félix Nadar : "Maquettes d'hélicoptère de Ponton d'Amécourt"Félix Nadar : "Maquettes d'hélicoptère de Ponton d'Amécourt"
Félix Nadar pour aider Ponton d'Amécourt à faire connaître ses recherches sur l'hélice, solution alors controversée à la locomotion aérienne, photographie ses maquettes d'hélicoptère. Afin de les isoler absolument de tout contexte, il est obligé de les faire tenir, avec un dispositif de ficelles qu'on aperçoit encore sur l'image.
Cette mise hors contexte de l'objet choisi produit, au-delà de l'efficacité documentaire voulue par ces photographes du XIXe siècle, un effet annexe. Il est si anormal visuellement d'isoler radicalement une chose que, ce faisant, on la dénature tout autant qu'on en restitue une possible vérité. En utilisant de la manière la plus abrupte la fonction d'enregistrement de la réalité tangible du monde, propre à la photographie, on apporte au contraire la preuve que cette réalité n'existe pas en soi et que l'image produite par l'appareil n'est qu'une vision de plus, créée par le médium lui-même.

des protocoles d'objectivité

 Rogi André : "Savon à message"J. Stuart : "South African Railways" Léon Gendre : "Madame Jantaud : haute couture pour enfants, spécialisée pour l'exportation"
La valeur testimoniale de la photographie continue, au XXe siècle, de s'appliquer à toutes sortes d'objets, pris selon un protocole d'objectivité (plan rapproché, fond neutre et vue frontale) à de simples fins de présentation : armes du crime, objet scientifique ou de curiosité, comme ce savon d'espion photographié, avec sa pancarte, par Rogi André au musée de la Police de Berlin.
Cette esthétique du constat clinique – présente aussi dans les catalogues de vente les plus sobres – inspire certains photographes amenés à représenter des objets industriels. Cette appropriation par les artistes des productions industrielles de série n'est pas sans rapport avec l'invention du ready made par Marcel Duchamp en 1913.

la rupture d'échelle suscite un regard neuf

Les surréalistes André Breton et Man Ray publient dans La Photographie n'est pas l'art, en 1937, une image intitulée Cahier acheté à un mendiant. Le gros plan sur le carnet, dégageant de leur contexte et de toute échelle de mesure, les motifs réticulés du papier de la reliure, oblige à une autre perception de l'objet : vue au microscope ou nébuleuse lointaine, il prend une dimension sur-réelle par le simple fait du cadrage et du grossissement.
Étonnamment présent – comme la chaise vue par Florence Henri sur l'île d'Houat – l'objet sélectionné, mis en avant – et presque en relief, comme une sculpture – se trouve saisi et cautionné par le cadrage photographique, dans son essence même, matérielle et silencieuse.
Les plans rapprochés sont par ailleurs un mode esthétique de représentation de l'objet singulier, au cœur des préoccupations visuelles de la Nouvelle Objectivité.
Ce point de vue contribue en effet à souligner les formes, les lignes et la substance de toute chose, des filaments subtils d'une plume par Pierre Boucher au réseau complexe d'une peau de melon par Raoul Hausmann.
La rupture d'échelle due au gros plan engendre, selon les ambitions d'Edward Weston, un regard neuf sur les objets : tel fragment de jarre pris par René Zuber évoque ainsi les courbes d'une hanche, telle hélice de paquebot semble, dans le format 6x6 choisi par Boucher, un trèfle à quatre feuilles... Le cadrage serré sur les objets isolés de leur contexte par la photographie, fait ainsi de ces compositions des hymnes à la beauté des choses les plus quotidiennes et des productions du monde moderne.

l'attention captée par la publicité

Devenu système, le plan rapproché sur l'objet isolé, se met au service d'une logique commerciale de plus en plus subtile. Les photographes publicitaires saisissent l'intérêt de concentrer l'attention du public sur un produit, en l'isolant de tout propos parasite : ce qu'applique, par exemple, André Vigneau dans une publicité pour les chaussures Perugia.