arrêt sur
vers l'accueil objets dans l'objectif

l'âge des détournements

Auteur non identifié : "Nembutal : illustration d'un article de L'Aurore"
La photographie au XXe siècle ne déserte pas ses fonctions traditionnelles de témoin du réel. À ce titre, elle est l'alliée privilégiée des scientifiques qui, par des moyens nouveaux, fixent l'image de leurs objets d'étude. Au moyen de la radiographie ou de la photomicrographie, ils mettent même au jour la part invisible du monde naturel. Dans d'autres domaines, comme celui de l'investigation policière, la photographie continue de servir de référent en enregistrant notamment les pièces à conviction.

le document porté aux nues

La nouveauté est alors la relecture de documents aux finalités utilitaires par les avants-gardes artistiques des années 1920. En exaltant la valeur descriptive et spontanée de la photographie, ces artistes rêvent d'un mode d'expression moderne et accessible au plus grand nombre.
Rogi André : "Chaussure à message"Rogi André : "Savon à message"
La photographie séduit ainsi les artistes animateurs du Bauhaus, école allemande d'architecture, fondée en 1919, qui vise à appliquer les arts à toutes les formes sociales de la vie moderne (urbanisme, presse...). Un des professeurs, Lazslo Moholy-Nagy, peintre d'origine hongroise, voit dans la photographie un médium d'avenir, représentant de la modernité et de la culture de masse.
Dans son ouvrage Malerei Fotografie Film, paru en 1925, il fait l'apologie de la photographie comme document, langage progressiste de la vie contemporaine.
Il tient également un rôle important dans la collecte des œuvres présentées à la FIFO où il fait la part belle aux photographies documentaires (biologie, criminologie...).
Le Bauhaus, sous son impulsion, reconnaît les mérites du médium en l'intégrant à d'autres modes d'expression comme le graphisme (photomontages) et en l'associant à l'essor du design industriel : c'est là l'un des tremplins au développement de la publicité à la fin des années 1920.

la beauté "magique-circonstancielle"

Parallèlement, les artistes surréalistes contribuent à une nouvelle appréhension des documents photographiques. Ce groupe fondé par l'écrivain André Breton en 1924, a pour ambition de faire ressurgir, comme l'avaient suggéré Rimbaud et Lautréamont, les forces souterraines de l'inconscient en déréglant les formes traditionnelles de perception du monde. À ces fins, ils accordent un grand rôle à la photographie qu'ils considèrent, pour son immédiateté, comme une forme d'écriture automatique de la vue et, pour sa dimension documentaire, comme un révélateur possible du sens caché du réel.
Eugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Boutique 63 rue de Sèvres"
Eugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" FerrailleurEugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" Boutique de marchand de chaussuresEugène Atget : Métiers, boutiques et étalages de Paris. "Coin du marché des Carmes, place Maubert" Fripier
Ils portent ainsi aux nues l'œuvre d'Eugène Atget, mort en 1927, qui a systématiquement enregistré Paris, ses rues et ses boutiques, ses moindres détails architecturaux, à de simples fins d'inventaire. Ses vues d'étalages, ses reportages sur la "zone" (quartier périurbain où vivaient les chiffonniers) où s'amoncellent des objets hétéroclites, flattent l'intérêt des surréalistes pour les rapprochements aléatoires et insolites de choses. Au-delà de leur caractère descriptif, ces documents ont pour eux la poétique de l'étrangeté et de l'éphémère, de l'anonyme et du quotidien.
Réceptif aux potentialités polysémiques des choses, ce courant propose une lecture seconde de photographies documentaires d'authentiques objets, dont la prise de vue, la lumière ou le plan révèlent le merveilleux, le mystère ou l'ambiguïté du réel, la beauté "magique-circonstancielle" selon les termes d'André Breton.
Dans la revue surréaliste Minotaure, Brassaï publie ainsi des photographies de petits tickets anodins, enroulés ou brûlés, que le cadrage serré et les commentaires du photographe élèvent au rang de véritables Sculptures involontaires.

objets d'expérimentation photographique

Albert Peignot : "Radiographie de divers modèles de tubes de Crookes et de Geisler"
Man Ray : "Rayographe"(pistolet)Raoul Ubac : "Objets possibles"Maurice Tabard : "Composition aux guitares"
La veine documentaire scientifique, avec son lot de photographies aux rayons X, inspire aussi paradoxalement les artistes d'avant-garde. En quête de hasard, de magie et de révélations inattendues, des photographes comme Man Ray, Maurice Tabard ou Raoul Ubac expérimentent de nouvelles formes de représentation du réel. L'objet du quotidien devient le support d'expériences visuelles et techniques de toutes sortes : photogrammes, solarisations, surimpressions... En testant tous les potentiels formels de la photographie, les artistes visent à la détourner de son caractère réaliste et professionnel et à conférer à l'objet représenté des allures et des significations sur-réelles.
Emmanuel Sougez : "Le Fauteuil blanc"
Dans les années trente, pourtant, l'attrait du document photographique s'étiole et les avants-gardes se détournent de ce médium de masse pour en revenir à des formes artistiques traditionnelles. L'ère des innovations et des détournements se referme sur la formation du Rectangle par Sougez, en 1936. Cette association de photographes illustrateurs et publicitaires français, prône le retour à la maîtrise technique, à la sobriété des effets et au classicisme des formes. Reste alors aux photographes en quête d'inventivité les nouveaux champs d'application de la modernité (presse, mode, publicité).