Un siècle de bouleversements
par Jean-Robert Pitte

En Europe occidentale puis aux États-Unis, au Japon et dans le reste du monde, la révolution industrielle transforme radicalement les conditions de vie et de production. En quelques décennies s'opère parallèlement une formidable révolution dans les transports terrestres et maritimes avec le développement de la navigation à vapeur, le lancement de gigantesques chantiers d'infrastructures ferroviaires et le creusement des canaux interocéaniques. La découverte de nouveaux gisements de matières premières entraîne la naissance de grandes régions d'activité économique. Les villes, enfin, qui concentrent les activités industrielles, commerciales et financières, connaissent un développement sans précédent.
La photographie, produit de l'âge industriel, permet de rendre compte de cette nouvelle géographie économique. Témoin d'un monde en profonde mutation, le photographe peut être aussi partie prenante de cette modernité par son travail de documentation et sa mise en images des réalisations humaines.
La Société de géographie suit avec attention ces bouleversements, qui interviennent sur tous les continents, au fil des récits que lui livrent les voyageurs mais également grâce aux débats et conférences organisés par ses membres les plus directement impliqués, négociants, industriels ou ingénieurs.


 

Regards sur un monde qui change

Photographier n'est jamais un geste innocent et aléatoire, même aujourd'hui avec les appareils numériques, y compris ceux des téléphones portables, mais évidemment l'acte photographique avait encore plus de portée lorsque la prise de vue en plein air nécessitait le transport d'un lourd matériel et une longue mise en scène technique préalable. Appuyer sur le déclencheur correspond à la volonté de conserver le souvenir d'un visage, d'une scène ou d'un paysage et donc à l'envie de retenir le temps qui passe et les lieux que l'on n'est pas sûr de revoir, à un certain désir d'éternité et d'ubiquité. L'autre motivation est celle de la curiosité et de l'effet de surprise que le photographe veut créer chez ceux qui regarderont ses clichés. C'est encore plus vrai lorsqu'il lègue sa collection à la Société de géographie et donc à la postérité la plus large et longue possible. Son objectif se tourne alors vers les moments exceptionnels de la vie sociale, les monuments et paysages emblématiques, icônes de l'identité géographique et, enfin, les réalités encore inconnues, scènes ou paysages exotiques, transformations du monde liées à la révolution technique.
Les collections de photographies du XIXe siècle que conserve la Société de géographie expriment tous ces désirs et nous interrogent d'autant plus que bien des sujets nous semblent aujourd'hui futiles, sans relief, sans grâce. D'autres heureusement conservent leur charge d'émotion car ils ont saisi une réalité peu banale ou une scène de vie qui ne se reproduira jamais.

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