Le travail photographié
par Olivier Loiseaux

La photographie du monde du travail s'applique à un champ considérable de phénomènes ou de situations et se réalise à plusieurs échelles. L'industrialisation a en effet transformé radicalement des régions entières comme, par exemple, les bassins miniers et contribué à l'apparition de nouveaux paysages. Pour rendre compte de l'activité économique, le paysage industriel est ainsi le premier niveau qu'appréhende le photographe. Cette réalité nouvelle se décompose ensuite en multiples unités de production, usines, ateliers, chantiers, qui constituent chacune un cadre de travail, repère visuel que retient le photographe. Pénétrer à l'intérieur des bâtiments lui permet alors de détailler les machines et outils de production et de prendre enfin dans son objectif, en des attitudes plus ou moins posées, les hommes au travail.
 

Le district minier de Sysserte

Diplômé de la faculté de droit de l'université de Moscou, Dimitri Solomirsky occupe plusieurs postes de fonctionnaire dans les domaines de la justice militaire, des postes et des affaires intérieures, mais il est surtout connu comme l'héritier d'un vaste domaine industriel au cœur de l'Oural : le district minier de Sysserte, dans la province de Perm, comprend cinq usines et le minerai de fer exploité en carrières est fondu dans les usines de Sysserte et Severskoy ; le domaine possède par ailleurs de vastes étendues forestières, nécessaires pour assurer la consommation de bois, et l'exploitation des tourbières fournit un combustible bon marché. L'intérêt de ce témoignage photographique sur les usines de Sysserte réside dans le fait qu'il est réalisé par le propriétaire lui-même. Solomirsky veut montrer un complexe industriel moderne -modèle- où les méthodes de production utilisent des technologies de pointe. L'accent est mis clairement sur les équipements et les bâtiments, même si le capitalisme industriel s'accompagne ici d'un développement sur le plan social, avec la construction d'hôpitaux comme d'institutions de prévoyance et la mise en place d'une caisse de retraite pour les ouvriers. En raison de la qualité des tirages et de la recherche esthétique dans la représentation des usines de production, ces photographies, parmi les premiers témoignages de l'art industriel, ont probablement été montrées ou réalisées pour l'exposition de Nijni-Novgorod de 1896, consacrée à l'industrie et aux beaux-arts, exposition à laquelle participaient les représentants des usines de Sysserte.
 

Le Queensland

Au tournant du siècle, des enquêtes économiques de grande ampleur sont menées dans les différents territoires de l'empire britannique. Plusieurs surveys, effectués par différents organismes gouvernementaux dans la colonie britannique du Queensland, bientôt État du nouveau commonwealth d'Australie (1901), font appel à des photographes souvent restés dans l'anonymat. Il s'agit de dresser un vaste panorama des activités économiques destiné à être présenté à des hôtes de marque en visite dans cette région ou lors de manifestations internationales comme l'Exposition franco-britannique de Londres, en 1908. Certaines de ces images ont été prises par Alfred Hugh Fisher (1867-1945), qui a réuni une collection considérable de photographies pour le Colonial Office Visual Instruction Committee.



Cet organisme, créé en 1902 pour produire des conférences illustrées par des projections photographiques, a tout d'abord collecté des images au Royaume-Uni afin de les utiliser dans les territoires d'outre-mer de l'Empire britannique, avant d'envoyer dans ces mêmes territoires des opérateurs chargés de rapporter des clichés à l'usage des écoles britanniques. Les photographies de Fisher, qui exaltent le potentiel économique de ces régions et la force de travail de leurs hommes, sont destinées à maintenir un lien visuel fort entre la métropole et son nouveau dominion.
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