L’Inde d’un poète photographe
par Antoine Lefébure et Séverine Charon

La vocation de l’Anglais Samuel Bourne naît à l’âge de dix-sept ans quand il découvre un portrait de son oncle sur daguerréotype. La vérité du rendu sur la plaque de verre, la minutie des détails, l’émerveillent littéralement. S’il commence une carrière d’employé de banque, tous ses loisirs sont consacrés à l’apprentissage de la photographie. Ses excursions en Écosse éveillent parallèlement son goût pour les paysages de montagne.
En 1863, il abandonne finalement l’Angleterre et son métier pour s’installer en Inde. Il doit trouver le moyen de financer ses expéditions photographiques ; il s’associe donc avec Charles Shepherd, éditeur à Simla, qui lui assure une diffusion de ses travaux. Dans cette ville, résidence d’été du gouvernement indien, le jeune homme noue de multiples relations professionnelles et amicales, qui favorisent la réalisation de ses projets.
Un premier trek himalayen lui permet d’évaluer les difficultés liées à ce type d’entreprise. En juin 1864, il quitte Dharamsala pour une longue marche dans le Cachemire. Il lui faut huit mois pour explorer la région et réaliser des clichés d’une nature majestueuse. Quarante-deux porteurs sont nécessaires pour acheminer les verres, tentes et matériel photographique. Les sentiers à pic se révèlent parfois impraticables, les températures sont rudes, il faut souvent traverser les torrents sur des ponts de corde, pendant que le matériel flotte sur des peaux de mouton gonflées d’air.

 
Les clichés réalisés sur collodion humide sont d’une beauté remarquable, dans la grande tradition de la peinture anglaise de nature au XVIIIe siècle. Rien de surprenant à cela, puisque Samuel Bourne se voit d’abord comme un artiste dont les œuvres photographiques doivent refléter ses sentiments face à de telles immensités. Dans ses comptes rendus, il avoue choisir soigneusement son cadrage : avec « assez d’arbres et de feuillages pour prêter à la scène un air de sérénité » ou avec « quelques traces d’habitation et d’activité humaine, de manière à suggérer l’harmonieuse relation de l’homme avec la nature ».
 
Samuel Bourne a ouvert la voie à plusieurs autres photographes britanniques de talent, qui feront le voyage jusqu’en Inde. John Burke et William Baker concluent une association et séjournent en 1868 à Srinagar, la "ville du Soleil". Le pittoresque des lacs et des ponts de la capitale du Cachemire les ravit, ces paysages où Samuel Bourne aimait poser son objectif et qui lui rappelaient son Angleterre natale. À leur tour, ils photographient les maisons de bois sur pilotis qui avaient tant charmé Bourne, « ces maisons qui se penchaient et obliquaient dans tous les sens comme si elles n’attendaient qu’une poussée pour s’écrouler ».



Très soucieux de la postérité de son œuvre, Bourne numérote et annote ses négatifs. Plus de deux mille clichés témoignent ainsi de ses explorations indiennes. Ils constituent aujourd'hui autant de précieux témoignages d'une époque révolue et de véritables œuvres d'art que tous les voyageurs en Inde se faisaient un devoir d'acheter comme souvenir de leur séjour.
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