Cela fait déjà sept ans que le commandant Henri Moll
sillonne l’Afrique noire, mandaté par l’État
français pour y effectuer des missions ambitieuses. Malgré sa
jeunesse – il n’a que trente-quatre ans –, il s’impose
comme le candidat idéal pour mener à bien une nouvelle
tâche ardue : en 1905, la France et l’Allemagne décident
de délimiter précisément la frontière entre
leurs colonies respectives, le Congo et le Cameroun. En dix-huit mois,
Moll et son homologue allemand Seefried vont donc parcourir vingt mille
kilomètres et effectuer des rapports détaillés sur
cette région presque inconnue qui attise la curiosité de
la métropole.
En novembre 1905, une caravane s’ébranle, nullement intimidée
par l’ampleur de la mission. À sa tête, Moll accompagné d’un
civil délégué par la Société de géographie
et le Muséum, Eugène Brussaux, d’un ancien magistrat
colonial, Étienne Muston, et d’un médecin, le Dr Ducasse.
Une entreprise coloniale
Chargés de recueillir des informations sur l’organisation économique
et sociale de la région, ils s’intéresseront également
de près aux coutumes des indigènes. Les appareils photographiques
emportés dans leurs bagages se révéleront alors de
précieux alliés.
Avec audace, les hommes s’aventurent sur des terres inexplorées,
où le danger rôde en permanence. Rien ne les a préparés à affronter
les peuplades anthropophages, les marécages infestés,
les ravages produits par la mouche tsé-tsé…
Le temps leur paraît souvent long quand il faut traverser des
terres inhospitalières, accablées par le soleil, alors
que les chameaux n’avancent qu’à quatre ou cinq
kilomètres à l’heure. Résolu à ne
jamais utiliser les armes, Moll parvient à amadouer les tribus
les plus farouches. Un tel respect lui garantit souvent l’accueil
chaleureux des peuplades dont il traverse les territoires. La mission
effectue ainsi un séjour prolongé chez les Baya. N’ayant
jamais vu de Blancs, ces indigènes se montrent d’abord
terrifiés, puis ils invitent les Français à entrer
dans leurs villages, constitués de huttes rondes coiffées
de toits pointus. Parfois, à la lueur des brasiers, ils vont
jusqu’à les convier à des spectacles où les
danses et les chants s’effectuent au rythme des tam-tam.
Au gré des semaines, les jours ne se ressemblent pas et le convoi
s’émerveille devant l’incroyable diversité ethnique
qui s’offre à eux.
Dans ses écrits, Brussaux ne cache pas sa profonde sympathie
pour les Moundan, ces anciens guerriers devenus de pacifiques agriculteurs.
Hébergés dans des demeures crénelées,
sortes de forteresses, les explorateurs pénètrent dans un monde
qui les replonge au cœur du Moyen Âge. Sur des chevaux
recouverts de tissus bariolés aux motifs géométriques,
des cavaliers organisent des parades équestres. La tête coiffée
de casques à plumes, une sagaie à la main, ils évoquent
les chevaliers des joutes d’antan. Les Français ne se privent
pas de photographier ce peuple chez qui la grâce et la spontanéité rehaussent
la beauté des silhouettes.
Progressivement, les enjeux de la mission ont donc évolué ; les
nombreux clichés effectués attestent cet intérêt
croissant pour l’humain. À son retour, Moll rapporte dans ses
bagages une carte détaillée du Congo occidental et de précieux
documents. Il constitue plusieurs exemplaires de l’album des photographies
de la mission dont un est conservé à la Société de
géographie. Présenté dans une somptueuse reliure, un exemplaire
en est remis au président Armand Fallières ainsi qu’à l’empereur
Guillaume II.
Le 18 avril 1908, un accord est signé à Berlin entre l’Allemagne
et la France. Apprécié pour sa diplomatie et son habileté,
Moll a le grand plaisir d’être convié à la table
des négociations.