1905 – 1945



  De l'enfance aux années d'enseignement

De l'enfant solitaire qui ne connut pas son père, bercé par les livres, élevé par ses grands-parents maternels et sa mère jusqu'à son remariage, Les Mots disent l'histoire et la légende.
L'adolescence à La Rochelle est difficile "sous la coupe d'un polytechnicien", son beau-père, auprès de camarades violents, qui ont sur lui une influence assez néfaste pour que ses parents l'envoient continuer ses études à Paris où il retrouve ses grands-parents, le lycée Henri IV et Paul Nizan. Après deux années de préparation au lycée Louis-le-Grand, les deux camarades intègrent l'école normale supérieure, en 1924, dans la promotion de Raymond Aron.
Pendant ces "quatre années heureuses" Sartre, dont la vocation profonde est l'écriture, consacre son diplôme à l'imagination, un des thèmes récurrents de son œuvre philosophique, et commence un premier roman, Une défaite, inspiré par sa cousine et confidente, Simone Jollivet, modèle du personnage féminin de La Nausée, future compagne et collaboratrice de Charles Dullin. Après un premier échec à l'agrégation de philosophie, il est reçu major au concours de 1929 devant Simone de Beauvoir qu'il a rencontrée en préparant l'oral et dont la vie ne le séparera plus.
Le "Baladin", libre, individualiste, apolitique, qui souhaitait être nommé au Japon, commence après dix-huit mois de service militaire sa carrière universitaire au lycée du Havre.
   
  Être Spinoza et Stendhal

C'est en lisant Bergson, qu'en hypokhâgne, Sartre décide de sa nouvelle vocation : enseigner la philosophie pour avoir le loisir de se consacrer à l'écriture. "Cette profession secondaire m'offrirait le monde intérieur qui serait le sujet même de mes ouvrages littéraires, la vérité à partir de laquelle je produirais mes intentions littéraires. Ce fut d'une certaine façon l'origine de mes écrits qui ont toujours représenté une synthèse de la matière philosophique et de la forme littéraire." Très vite, il résume ses ambitions dans une belle formule : "Vous m'avez dit, quand nous nous sommes connus : je veux être Spinoza et Stendhal", lui rappellera en 1974 Simone de Beauvoir, qui déjà dans les Mémoires d'une jeune fille rangée explique : " [...] en causant avec Sartre, j'entrevis la richesse de ce qu'il appelait sa "théorie de la contingence" où se trouvaient déjà en germe ses idées sur l'être, l'existence, la nécessité, la liberté. J'eus l'évidence qu'il écrirait un jour une œuvre qui compterait [...]. Il aimait autant Stendhal que Spinoza et se refusait à séparer la philosophie de la littérature. "Comme Une défaite, refusé par Gallimard – à juste titre, pense-t-il plus tard –, son premier essai philosophique, La légende de la vérité, sera refusé aussi par les éditeurs. La Nausée et Le Mur révéleront le romancier de talent, La Transcendance de l'ego et L'Imaginaire, le philosophe. Après la guerre, L'Être et le Néant, puis Les Chemins de la liberté consacreront définitivement l'un et l'autre.
   

  De la drôle de guerre à la Libération

"La guerre a vraiment divisé ma vie en deux."
Incorporé le 3 septembre 1939, le soldat Sartre, chargé des sondages météorologiques, passe ses longs moments de loisir à lire et à écrire quotidiennement. Tout en entretenant une abondante correspondance, avec le Castor notamment, il termine le premier volume des Chemins de la liberté et, surtout, commence un journal de guerre. Il remplira quinze carnets de septembre 1939 à mars 1940. Le jour de son anniversaire, le 21 juin 1940, il est fait prisonnier à Baccarat, puis transféré à Trêves, en Allemagne. Là, au sein d'un camp de vingt-cinq mille prisonniers, dans le froid et la saleté, il redécouvre la vie collective qu'il avait aimée à l'École normale supérieure puis à l'Institut français de Berlin.
Au Stalag XIII D, Sartre parle de Heidegger à des prêtres et compose un mystère de Noël, Bariona, qu'il met lui-même en scène.
Évadé en mars 1941 et revenu à Paris, il tente de former un réseau de résistance intellectuelle avec des camarades parmi lesquels Merleau-Ponty et de jeunes étudiants avec notamment les Desanti, tout en enseignant à nouveau au lycée Pasteur, puis à Condorcet jusqu'en juin 1944. Il adhérera en outre au Centre national des écrivains et collaborera aux Lettres françaises clandestines.
Son talent d'auteur dramatique se révèle avec Les Mouches, mis en scène par Dullin, puis Huis clos. Désormais, Sartre fait partie du Tout-Paris des lettres et des arts : à Saint-Germain-des-Près, il fréquente Picasso, Leiris et Camus, qui l'engage à écrire pour Combat "Un promeneur dans Paris insurgé" en août 1944 et à faire une série de reportages en Amérique.