Asie centrale
par Antoine Lefébure et Séverine Charon

 

Exploration en Mongolie

C’est un homme talentueux et expérimenté qui prend, en mai 1909, la tête d’une mission d’exploration au cœur de la Mongolie. Saint-cyrien, le commandant Henri de Bouillane de Lacoste a déjà derrière lui quelques expéditions notables. C’est comme officier de renseignement au Tonkin qu’il s’éprend du monde asiatique. Il étudie soigneusement le tracé de la future ligne de chemin de fer du Yunnan, destinée à relier l’Indochine à la Chine. Il intègre ensuite l’état-major du corps expéditionnaire français venu mater la révolte des Boxers en Chine. Détaché à l’Élysée, il obtient en 1906 la direction d’une mission chargée de décrire la topographie et les richesses du Turkestan russe, du Pamir et du Baloutchistan.
Pour cette nouvelle expédition, Bouillane de Lacoste est accompagné par Zabieha, agent en Asie centrale de la maison de fourrure Revillon, dont il a su apprécier les compétences. Se joint aussi à lui un médecin, Du Chazaud, plus particulièrement chargé des travaux de sciences naturelles. Le ministère de l’Éducation publique, la Société de géographie et le Muséum sont les principaux commanditaires de l’expédition. Un de leurs soucis est de conserver intact le souvenir d’une civilisation, d’un mode de vie appelé à disparaître, et propre à cette "terre des Herbes" encore préservée. Le commandant de Lacoste le formule explicitement : « Bientôt viendront les ingénieurs. Alors il sera trop tard : des usines élèveront leurs doubles lignes sinueuses en ces mornes solitudes où vivaient jadis les merveilleux coureurs d’aventures, dont les noms seuls faisaient trembler l’Europe et qui se nommaient les Huns, les Turcs, les Mongols… »

 
À partir d’Urga, ils traversent la Mongolie avec une escorte de quatre indigènes. De nombreux pasteurs nomades accompagnent la caravane, le temps d’une randonnée. Monastères plus ou moins en ruines, citadelles abandonnées, monolithes décapités retiennent leur attention.



L’expédition emprunte des routes inconnues et localise de nouveaux sites archéologiques, comme le lac de Gandan-Nûr. À son tour, le massif du Telmen-Nûr est exploré avant l’arrivée à Uliasutaï, capitale de la Mongolie extérieure. Afin de photographier une statue en granit de plusieurs tonnes, Bouillane de Lacoste doit demander l’aide d’une quinzaine de robustes Mongols qui, utilisant des troncs de mélèzes en guise de leviers, réussissent à retourner le gigantesque bloc. Puis il faut photographier, estamper et effectuer les croquis nécessaires dans des conditions éprouvantes.



Après avoir longuement rencontré l’équipe d’explorateurs, l’hebdomadaire en images L’Illustration rend ainsi compte du quotidien de cette aventure : « La terre brûlée, dénudée, minée, s’effondre sous les pieds des bêtes. Le mirage hallucine les yeux, fatigue le cerveau ; des nuées dévorantes de moustiques empestent l’air. Et, chaque jour, à midi exactement, un orage épouvantable éclate, dont les coups de foudre trop souvent déciment les pauvres errants. » (29 octobre 1910.)
Après plus de trois mille kilomètres à pied ou à dos de chameau, l’expédition rejoint Novosibirsk, la plus proche station du Transsibérien : les documents et les objets qu’ils rapportent vont susciter un grand intérêt dans la communauté scientifique.
 

 

Aux marges de l’Empire russe : l’Asie centrale

Fils d’un horloger suisse prestigieux, Henri Moser quitte sa famille en 1882. À l’âge de dix-huit ans, il part pour Saint-Pétersbourg, où il compte développer un commerce de montres de luxe. Il se trouve rapidement mêlé à l’aristocratie russe occupée à repousser les frontières de l’empire. L’occasion de partir vers des horizons lointains s’offre alors à lui. Il participe à une expédition montée par le général Tchernaieff, gouverneur général du tsar à Tachkent. Le voilà bientôt traversant une bonne partie de l’Asie centrale, de Boukhara jusqu’à Téhéran.
Moser utilise sa qualité d’envoyé semi-officiel pour entrer en contact avec les émirs de la région et bénéficier de leur aide. À Khiva, le khan lui fournit une escorte et des guides indispensables pour parcourir le redoutable désert turcoman. Il reçoit également de nombreux objets précieux : bijoux, armes richement décorées, selles de cérémonie… Les photographies et les objets qu’il rapporte donneront lieu à une exposition à la Société de géographie en novembre 1884.
Se sentant proche de ces cultures étrangères, Moser n’hésite pas, pour justifier son esprit d’aventure, à reprendre à son compte cette réponse d’un musulman à qui il demandait pourquoi Mahomet avait institué le pèlerinage à La Mecque : « Pour obliger ses fils à visiter les lieux saints, mais aussi pour les jeter, au moins une fois dans leur vie, loin de leur berceau. Nous sommes des errants. Les villes sont des prisons. »
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