Des photographes au Japon
par Olivier Loiseaux

Après plusieurs reportages photographiques en Crimée (1855), en Inde (1857) puis en Chine (1860), Felice Beato (1834-1903), Vénitien naturalisé anglais, ouvre en 1863 un studio photographique à Yokohama. C’est une période de transition où la société japonaise est encore très largement féodale, même si l’ouverture de cinq ports aux navires étrangers en 1858 permet aux Occidentaux de s’y installer. Felice Beato est associé au dessinateur Charles Wirgman, qui l’initie à la technique de la photographie coloriée, mais l’incendie de Yokohama, en 1866, détruit en grande partie leur atelier. Beato se remet à l’ouvrage et reconstitue en moins de deux ans son fonds de plaques de verre. Il publie en 1868 ses premières séries de photographies en deux volumes intitulés Views of Japan, recueil de paysages japonais, et Native types, album de portraits et de scènes de la vie quotidienne.
 

Autour de l'album « Stillfried et Andersen »

D’autres photographes s’installent bientôt à Yokohama, comme le baron autrichien Raimund von Stillfried-Ratenicz (1839-1911), qui travaille avec Beato avant d’ouvrir son propre studio en 1871. Stillfried entreprend plusieurs voyages, dont un reportage à Hokkaidô en 1872 puis, en janvier 1877, il choisit comme partenaire commercial le photographe allemand Hermann Andersen. La nouvelle compagnie Stillfried & Andersen rachète quelques jours plus tard le fonds Beato et exploite le stock de plaques négatives pendant une année et demie, jusqu’en juin 1878.



La pièce maîtresse des très riches collections de photographies du Japon conservées à la Société de géographie est certainement l’ensemble formé par les cinq volumes de l’album "Stillfried & Andersen", l’un des exemplaires les plus complets au monde avec ses trois cent cinquante épreuves photographiques réalisées et coloriées à la main en 1877 et 1878 dans l’atelier Stillfried & Andersen à partir de plaques négatives de Stillfried lui-même, du fonds Beato racheté en 1877, mais également d’autres photographes. La liste manuscrite des photographies, insérée dans l’un des volumes, est de la main de Stillfried.
  
Les sujets traités, les lieux représentés, souvent empruntés aux maîtres de l’estampe (ukiyo-e), donnent l’image d’un pays immuable alors même que l’archipel entre en 1868 dans la période de profonds bouleversements de l’ère Meiji. Ce décalage s’explique aisément par le public auquel sont destinés les clichés, clientèle naissante de touristes étrangers qui profite de l’ouverture du pays.
Les voyageurs au Japon sont nombreux : Aimé Humbert, Émile Guimet, Georges Labit, Edmond Cotteau, Hugues Krafft, pour n’en citer que quelques-uns. Leurs itinéraires dans l’archipel se recoupent en bien des relais du Tôkaidô, cette route historique qui relie l’ancienne résidence impériale, Kyôto, à la nouvelle capitale du shogun, Tôkyô. À la recherche d’exotisme et au goût des voyageurs pour le pittoresque, les photographes répondent par ces images d’un Japon éternel : paysages célèbres, temples et lieux sacrés, portraits de femmes élégantes, figures de samouraïs, métiers et scènes de rues.
 


Felice Beato s’éloigne de la photographie à partir de 1872. Quant au baron von Stillfried, il quitte définitivement le Japon en 1881. La même année, Kimbei Kusakabe (1841-1934), élève de Beato et Stillfried, ouvre son propre studio à Yokohama et acquiert quatre ans plus tard une partie des négatifs de ses deux maîtres qu’il retirera régulièrement. Les studios japonais sont déjà nombreux et proposent plusieurs milliers de vues touristiques aux voyageurs. Si les images du Japon d’autrefois sont de loin les plus répandues, certaines vues trahissent le processus irréversible de modernisation et d’occidentalisation que résume l’expression Bunmei Kaika (civilisation et lumière).
 
En savoir plus
Japonais / albums réalisés par Stillfried & Andersen d'après des négatifs de     Raimund von Stillfried, Felice Beato et autres photographes
Lire le récit d'Aimé Humbert
Les débuts de la photographie au Japon
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