Afrique : les missions sahariennes
par Antoine Lefébure et Séverine Charon

Au XIXe siècle, le Sahara effraie l’homme occidental, qui répugne à s’y aventurer : comment ne pas voir dans ce "désert des déserts" la terre de tous les dangers ? La perspective de parcourir des centaines de kilomètres dans une immensité aride et inconnue, en proie à la soif et à la faim, n’est guère engageante. Par ailleurs, les populations qui y vivent ont la réputation d’être belliqueuses et de protéger farouchement leur domaine et leur mode de vie.
Dans ces régions de non-droit, l’esclavage et les pillages font figure de lois. L’Européen ne semble décidément pas avoir sa place dans cet univers ; il va devoir s’en forger une au péril de sa vie.
 

Gerhard Rohlfs et le Sahara occidental

Voyageur infatigable, Gerhard Rohlfs passe trente ans en Afrique à tenter de percer les secrets du désert. D’une témérité et d’une résistance exceptionnelles, cet Allemand choisit de s’adapter complètement aux conditions locales. S’engageant en 1855 dans la Légion étrangère française, il gagne l’Algérie. Pendant cinq ans, il en profite pour apprendre l’arabe et s’initier à la culture musulmane. Il n’a bientôt qu’une hâte : explorer le Sahara occidental, particulièrement hostile aux étrangers. Sous un déguisement, il décide alors de se faire passer pour un musulman. Le stratagème réussit ; il sympathise avec certains chefs religieux, qui lui ouvrent les portes d’une région jusque-là interdite aux chrétiens.


De 1873 à 1874, le khédive lui confie une expédition dans le désert libyque. Pendant plusieurs mois, il parcourt cette région inhospitalière. Chaque jour, durant huit, neuf heures, sans faire la moindre halte, sa caravane évolue dans la solitude des grands plateaux rocheux et calcaires, au milieu des dépressions sablonneuses. Rohlfs en profite pour rédiger des rapports topographiques et géologiques sur ces lieux méconnus par l’Occident. Pendant ce temps, le photographe officiel de la mission, Philipp Remelé, se consacre à sa tâche, compliquée par le voyage. Son appareil, lourd et encombrant, doit être placé sur un trépied et la pose dure parfois d’interminables minutes. Le temps manque souvent au photographe, qui se plaint aussi des mauvaises conditions matérielles : quand il ne craint pas pour ses plaques de verre, Remelé peine à développer ses clichés sous une tente exposée à la poussière et aux vents ; quant à l’obscurité, elle est souvent bien difficile à obtenir . Heureusement, des oasis verdoyantes viennent parfois ponctuer ce paysage austère. À l’ombre des palmeraies, les voyageurs harassés trouvent un répit bienfaisant. Dans celle de Dakhla, à l’ouest du Nil, Rohlfs choisit comme hébergement une grande maison du vieux ksar et entreprend de fouiller le temple de Deir-el-Hagar.
L’expédition rapportera un nombre limité de photographies, d’autant plus rares qu’elles sont inédites à l’époque. Finalement, seul le khédive sera déçu : il espérait que cette mission serait rentable pour son pays. Or aucune découverte minière ne vint compenser les investissements. Grâce aux initiatives des explorateurs, militaires et commerçants, l’État français commence à se préoccuper de son empire colonial africain. En 1880, il charge le colonel Flatters de reconnaître le tracé d’un chemin de fer transsaharien. La plupart des membres de la mission sont massacrés par les "Touareg-Hoggar". Véritable drame national, cette tragédie donne un coup d’arrêt à la pénétration pacifique de ces terres. Il faudra toute l’obstination de quelques officiers pour repartir activement à la conquête de cet espace désertique, obstacle entre les colonies d’Afrique du Nord et l’Afrique centrale.
 

L’oasis d’El Goléa

Entre 1888 et 1890, le commandant Deporter s’intéresse plus particulièrement à l’oasis d’El Goléa, située au croisement des routes commerciales. Il estime en effet que "cette perle du désert" constitue une base stratégique pour l’aménagement du Sahara algérien. Il suggère donc d’y implanter un comptoir commercial et un poste militaire important. Dans cette perspective, il rédige un rapport détaillé sur la ville d’El Goléa et ses moyens de communication, qu’il illustre par de nombreuses photographies. La technique du cyanotype facilite la tâche du photographe : d’utilisation relativement simple, elle permet d’effectuer des clichés peu onéreux et extrêmement résistants à la lumière.
Mais le caractère technique de l’entreprise n’empêche pas Deporter d’être sensible à la beauté des lieux. Il s’attarde volontiers sur le ksar, cette forteresse, érigée sur un éperon rocheux. Mais, plus encore, le commandant est fasciné par les propriétaires des lieux : la tribu des Chaanba Mouadhi. S’ils viennent y passer l’été, ils reprennent leur vie de nomades pendant les autres saisons.
 

 
Cavaliers émérites, aventuriers et parfois pillards, ils sont craints de leurs voisins. Leur atout réside principalement dans leurs dromadaires dressés pour les courses rapides. La photographie devient alors un moyen tangible, parfois illusoire, pour approcher, capturer l’âme de ces hommes sauvages et indomptables. Perdue dans une immensité qui construit son identité, la tribu conserve définitivement son mystère, lié à ses traditions primitives.
 

Les voyages de reconnaissance de Fernand Foureau

Fernand Foureau contribue lui aussi à lever la malédiction qui pèse sur le Sahara depuis le massacre de la mission Flatters. Entre 1884 et 1896, il entreprend neuf voyages d’étude à la découverte du Sahara, depuis l’Algérie jusqu’au Tchad. Ces opérations de reconnaissance nécessitent un matériel important, utile aux relevés topographiques et géologiques. Des appareils photographiques complètent l’équipement du scientifique colonisateur. Habitué à la canicule saharienne, Foureau préconise l’utilisation d’appareils métalliques.
 
Il mène ainsi de main de maître ses expéditions, imposant à ses hommes une sévère discipline et tirant parti de sa connaissance précise du désert. Il fore des puits et développe des palmeraies, déterminé à donner à son entreprise coloniale une dimension humaniste. Doté d’un sang-froid admirable, ce colon algérien entre en contact avec les Touareg, nullement impressionné par la réputation qui les poursuit depuis la tragédie de la mission Flatters. De fait, il partage souvent la vie de ces nomades farouches, sans se soucier des images caricaturales que l’Europe véhicule.
Grâce au soutien financier de la Société de géographie, il dirige avec le commandant François Lamy de 1898 à 1900 la grande mission transsaharienne qui porte leurs deux noms et les mène sur les bords du lac Tchad, concrétisant de fait la jonction définitive des différents territoires du domaine colonial français.
Haut de page