À la rencontre des Hopi
par Antoine Lefébure et Séverine Charon

Autour de 1860, il faut un caractère bien trempé pour partir explorer les villages indiens perdus dans l’immensité du Colorado et de l’Arizona. Les Apaches et les Comanches y attaquent régulièrement les groupes de "visages pâles" qui se hasardent dans cet univers minéral.
Le major Powell est un homme expérimenté qui a fait sa carrière comme ingénieur topographe dans l’armée. Mais une passion l’anime, celle de l’exploration, du contact avec les tribus inconnues. Afin de garder un témoignage objectif de ses travaux, il a appris la photographie. Cette technique lui permet de restituer une réalité déjà décrite par les peintres qui ont immortalisé la découverte du continent nord-américain.
Après une première expédition de reconnaissance de la rivière Colorado menée en 1869, Powell fait appel à un jeune homme du nom de John K. Hillers comme conducteur de bateau lors de sa seconde expédition, en 1871. Hillers manifeste rapidement une telle curiosité et une telle intelligence qu’il est choisi comme assistant photographe. Après avoir appris à maîtriser l’usage délicat des traitements chimiques, il acquiert un véritable savoir-faire dans la prise de vue, lâchant immédiatement l’aviron pour remplacer Fennemore, le photographe officiel, quand celui-ci tombe malade, en 1872. Cette mission marque le début de l’étroite collaboration d’Hillers avec Powell, qu’il accompagnera dans toutes ses expéditions.

 
Powell, déterminé à pénétrer les mystères des populations des villages fortifiés pueblo, demande à son nouveau collaborateur de participer avec lui à plusieurs missions. Tissant aisément des liens avec les Indiens, Hillers devient pour eux "l’attrapeur d’ombres" et ne rencontre aucune difficulté à les photographier. Les Indiens paiute le surnomment d’ailleurs "moi-même dans l’eau" car leur image sur les clichés évoque leur reflet dans l’eau. Parce qu’il possède un vrai sens de la composition et qu’il exploite merveilleusement les jeux d’ombre et de lumière, Hillers apparaît comme le photographe idéal pour toute entreprise ethnographique.
C’est donc Powell qui réalise le premier travail sérieux sur ces Indiens hopi, pacifiques mais farouches. Profondément marqué par l’humanité des Hopi et la qualité des relations qu’il a su établir avec eux, Powell réussit à convaincre le Congrès de créer le légendaire Bureau of American Ethnology, auprès de la Smithsonian Institution. Élu en tant que premier directeur, il cède à cet organisme ses collections inestimables d’objets et ses albums photographiques. L’un des pères de l’ethnologie, Marcel Mauss, écrira plus tard à propos des tribus hopi que « Powell sut les pacifier, se servir d’elles comme d’un point d’appui contre les Apaches. Il s’était imposé à elles par sa seule autorité, par sa connaissance de leur langue, et de leur mentalité, par la confiance qu’il inspirait. Il réussit là, en même temps, l’œuvre du géographe, celle du géologue, celle de l’archéologue et celle de l’ethnologue. » (Marcel Mauss, "L’ethnographie en France et à l’étranger", Revue de Paris, n° 20, 1913.)

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