L’ouverture des océans aux grandes navigations européennes, dès la fin du Moyen Âge, a entraîné un véritable tournant dans la représentation du monde. Il n’est de meilleur reflet de cette révolution que les cartes portulans dressées durant cette période et qui témoignent des progrès des techniques maritimes et du dépassement des horizons méditerranéens : les voyages se font plus nombreux et plus lointains, vers des destinations qu’on ne pouvait jusqu’alors envisager.
Les cartes montrent la découverte progressive de terres nouvelles dont les contours sont peu à peu définis, complétés par les noms des havres et des ports. Nous pouvons ainsi assister au contournement de l’Afrique, à la découverte de l’Amérique, à l’entrée dans l’océan Pacifique et à la reconnaissance de régions de plus en plus proches des pôles. Ces portulans montrent aussi les problèmes techniques auxquels ont été confrontés les voyageurs lorsqu’il est devenu impossible de se contenter, pour naviguer, de la direction indiquée par la boussole et de l’estime de la distance parcourue.
L’apparition de la mesure de la latitude, les solutions élaborées pour combiner la projection nécessaire à la représentation de la rotondité de la Terre et les contraintes de conservation des angles pour suivre un cap, toutes ces innovations sont des évolutions techniques intimement liées à l’ouverture vers le grand large.
Mais les cartes sont aussi le reflet d’autres expansions, politiques, celles-ci, qui correspondent au développement des empires européens. Dès l’aube du XVIe siècle, les portulans ne se contentent plus d’évoquer les divers royaumes européens, africains ou asiatiques par des figures peu réalistes, elles montrent également, avec une ligne de partage tirée à la règle, les frontières qui s’établissent nettement entre les domaines portugais et espagnol, dans l’océan Atlantique et l’Amérique méridionale, puis, à l’opposé, dans l’océan Pacifique, où il devient primordial de savoir à quelle zone appartiennent les Moluques et leurs précieuses épices.
Les portulans les plus richement décorés font une place à des informations supplémentaires, utiles au voyageur et, plus encore, à celui qui devra décider d’une entreprise commerciale ou militaire. Si l’on y signale les dangers qui menacent le marin à son approche de la terre ou les ressources en eau et en bois qu’il pourra y trouver pour continuer son périple, on y évoque surtout la richesse des pays abordés en matière de flore, de faune ou de minerais précieux. On y envisage également les relations qui pourront s’établir avec les habitants de ces contrées, que l’on représente comme aimables ou au contraire cruels, voire anthropophages : de ces relations dépendra en effet le succès d’une implantation ou la viabilité d’un comptoir. Mais les portulans présentent aussi les zones inconnues, les terres imaginées où sont placées des ressources supposées, inspirées pour partie de récits de voyages médiévaux – ou de conjectures aventureuses.
Dans ces terres inconnues furent projetées les ambitions politiques et commerciales qui ont nourri l’imaginaire de souverains ou d’aventuriers. Car, dès le XVIe siècle, et malgré le monopole que tentèrent d’établir les empires ibériques sur les terres nouvelles, les nations européennes comme la France, les Pays-Bas et l’Angleterre se lancèrent à leur tour dans la conquête. Les cartes portulans sont ainsi les miroirs des ambitions européennes en fait de maîtrise scientifique, politique et commerciale du monde.