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Iconographie des Nouveaux mondes

XVe-XVIIe siècles
Par Surekha Davies (texte traduit de l’anglais par Laurent Bury)

La tradition antique des merveilles et des monstres


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À partir de 1492, avec la découverte des Amériques, et 1498, qui vit Vasco de Gama atteindre l’Inde après avoir doublé le cap de Bonne-Espérance, les navigateurs commencèrent à fournir aux cartographes européens de nouvelles informations sur l’Afrique occidentale, les îles de l’Atlantique et l’océan Indien. Durant un siècle, grâce à cet apport, les cartographes qui travaillaient suivant la tradition des cartes portulans au Portugal, en Espagne et en France produisirent de nombreuses cartes très illustrées. C’est à l’iconographie la plus spécifique des cartes européennes de cette époque, celle des peuples lointains, qu’est consacré ce chapitre.
Avant même l’âge des découvertes, l’Extrême-Orient et l’Afrique méridionale sont associés aux peuples merveilleux. Décrivant les habitants du monde dans son Histoire naturelle (vers 77-79 de notre ère), Pline l’Ancien note que « l’Inde et l’Éthiopie surtout fourmillent de merveilles1 ». Ces prodiges incluent des êtres extraordinaires par leurs caractéristiques physiques ou par leurs pratiques : les Astomes (sans-bouche) se nourrissent exclusivement de l’odeur des aliments, les Troglodytes habitent dans des grottes, les Anthropophages consomment de la chair humaine et les Sciapodes n’ont qu’un pied, qui peut leur servir d’ombrelle géante.
Des peuples monstrueux apparaissent encore sur les mappemondes du XIIIe siècle qui nous sont parvenues. Les cartographes les placent aussi loin que possible de Jérusalem, considérée comme le centre de l’univers2. L’idée que les parties éloignées du monde, orientales et méridionales, abritent des peuples merveilleux – et monstrueux – est renforcée par le récit des aventures de Marco Polo en Asie, à la fin du XIIIe siècle, mais aussi par le livre de Jean de Mandeville – récit d’un voyage imaginaire –, très diffusé à partir du XIVe siècle. Durant les deux premiers siècles de l’imprimerie, les attentes des Européens concernant les peuples d’Asie, d’Afrique, et plus tard des Amériques, ont été modelées par ces textes et par des images de ce genre.

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Sur les premières cartes portulans, en revanche, l’iconographie des peuples lointains ne contient pas de monstres, mais des souverains assis sur un trône ou un coussin. En général, ils tiennent un sceptre de la main droite et ont l’index gauche dressé, attitude que les peintres et autres artistes du Moyen Âge utilisaient traditionnellement pour caractériser un roi. Ce motif iconographique figure par exemple sur l’Atlas catalan (vers 1375), dont l’auteur étend et adapte le motif du souverain à l’Afrique et à l’Asie, en ajoutant au costume des éléments spécifiques. Sur la tête des princes musulmans et tartares, il remplace la couronne européenne par un couvre-chef local, substitue au sceptre un cimeterre ou une masse, rhabille ces personnages d’une robe exotique et supprime le trône pour les asseoir à terre. Il introduit même dans le paysage des détails, des perroquets par exemple, indiquant que ces royaumes sont un peu différents de leurs homologues européens. Le souverain le plus représentatif figurant sur les portulans est sans doute le Prêtre Jean, roi chrétien légendaire censé vivre en Inde ou en Éthiopie.

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Au XVIe siècle apparaît un nouveau type de cartes portulans, conçu pour représenter le monde entier sur une seule feuille – ou sur un assemblage de feuilles. Ces cartes s’appuient sur les traditions précédentes en ce qu’elles contiennent des informations détaillées sur les régions côtières, mais s’inspirent aussi de traditions iconographiques renouant avec les mappemondes médiévales, notamment la représentation de peuples monstrueux aux extrémités de la terre. Selon la carte du monde de Sancho Gutiérrez (1551), sur les franges septentrionales de l’Europe vivent des hommes à tête de chien ou dotés d’un seul pied gigantesque. Conforme à la tradition cartographique normande, qui veut que l’Afrique et l’Asie abritent des peuples monstrueux, la mappemonde normande connue sous le nom de « carte de Rylands » dépeint toute une gamme de créatures de ce genre en Asie : des êtres aux oreilles et aux lèvres longues, des Pygmées, un Centaure et des Blemmyes (sans tête ni cou, ils ont les yeux et la bouche sur la poitrine), qui cohabitent tant bien que mal avec les rois richement vêtus des civilisations anciennes – le « grand cam de Kathay » accorde une audience dans sa tente et, non loin de là, un monarque à tête de chien et ses sujets tout aussi hirsutes répètent la scène. La carte dessinée en 1550 par le prêtre et cartographe normand Pierre Desceliers présente, elle, différents monstres en Afrique : un homme sans tête, un personnage aux nombreux bras et deux « négresses à plateau ». La Cosmographie de Le Testu place en « Terre Australe » des êtres aux oreilles extrêmement longues, au point qu’un personnage se sert d’une de ses oreilles pour se couvrir le corps tandis que l’autre lui sert de lit. Parmi les habitants de la Patagonie, zone voisine de la « Terre Australe », se trouvent deux individus munis de massues et de boucliers qui sont peut-être les géants décrits au début du XVIe siècle par les voyageurs européens dans la pointe méridionale de l’Amérique du Sud, en particulier par Antonio Pigafetta. Leur corps musclé et leurs armes renvoient aussi à la figure mythique d’Hercule – ces êtres étaient d’ailleurs mentionnés depuis l’Antiquité grecque et romaine dans les écrits consacrés aux terres lointaines.

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Notes
1. Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre VII-] (trad. Ajasson de Grandsagne).
2. Asa Simon Mittman, Maps and Monsters in Medieval England, New York/Londres, Routledge, 2006, p. 34-42.
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