Enfin, le noir et blanc témoigne, sans doute plus évidemment que la photographie en couleurs, de l’épiphanie lumineuse qui est au cœur même du dispositif photographique. « De tous les arts profanes, la photographie est, du fait de son rapport à la lumière et à la transfiguration, celui dont l’imaginaire se tient au plus près d’un art sacré », note Serge Tisseron, qui ajoute : « Par la lumière s’opère la jointure entre le ciel et la terre. Et le photographe qui sait canaliser les pouvoirs de la lumière entretient une relation privilégiée avec l’imaginaire de la “révélation”. » De telles remarques prennent une résonance particulière dès lors qu’on les applique au travail d’artistes qui considèrent que « toute technique implique une métaphysique », qui situent leur œuvre dans une perspective spiritualiste affirmée et pour qui la lumière est à la fois un outil dans l’élaboration des images et une thématique privilégiée dans le mouvement ascensionnel qui caractérise toute l’œuvre et donne son titre à l’exposition.
Entre l’expérience sur le lieu de la prise de vue, et le travail qui se poursuit après coup, à partir d’images quelquefois inattendues même pour le photographe, un écart important se creuse. La photographie, pour Minot et Gormezano, n’a jamais, on l’a vu, la fonction de trace, mimétique et informative, d’une action révolue. L’organisation, dans l’après-coup, des séries thématiques qui entrelacent le plus souvent les lieux et les moments, est déterminante dans l’émergence du sens. La construction d’un triptyque, par exemple, peut prendre la forme, consacrée par la tradition religieuse, d’une articulation signifiante qui privilégie l’image centrale par rapport aux deux images latérales, de nature différente du point de vue du lieu, de l’échelle, de la présence, ou de l’absence du corps. S’il s’agit au contraire d’une séquence de trois images, le déroulement temporel suggéré par le triptyque ne reflète pas nécessairement ce qui s’est passé sur le site. « Conclure » sur une image qui montre le corps renversé tête en bas, au pied d’une falaise, comme dans le premier triptyque de
Limons, ou sur une posture d’émergence et d’élévation n’a évidemment pas la même portée.
On notera encore que les artistes évitent de recourir au flou, procédé désormais banal pour traduire le mouvement. Sans doute, entre autres raisons, parce que les effets de « contamination » entre la matière et le corps perdraient de leur force suggestive si les contours du corps étaient noyés comme par artifice. Il y a seulement deux exceptions à cette règle. Dans les photographies prises au cimetière du Père-Lachaise (
La répétition est impossible), le flou vient souligner la mobilité d’un corps vivant parmi les tombes. Dans le triptyque
Antres I où le contraste lumineux de la gorge appelait une pose longue, alors que l’action était rapide, le flou donne à la figure une allure d’apparition furtive.