Exercices de lecture de paysages
par Jean-Marie Baldner et Didier Mendibil
Il y a beaucoup de paysages dans l’exposition "Trésors
photographiques de la Société de géographie" :
près de
60 % des photographies en montrent et, pour les trois quarts d’entre
elles, c’est bien le paysage qui est le sujet principal de la représentation.
Cela n’est pas surprenant vu leur destination à l’usage
géographique mais cela nécessite de construire des outils
de lecture adaptés à cette forme particulière
de représentation du monde par des exercices spécifiques.
Ils tenteront d’approfondir :
- l’idée d’un formatage des vues finalisé par
leurs usages,
- notamment par la reprise graphique des photographies,
- de préciser l’intérêt de la notion d’imagement
pour l’approche de grandes séries d’images,
- d’éclairer la description des paysages
par l’analyse des relations entre textes et images mobilisés
par l’iconographie.
Le formatage des paysages
Le format d’illustration dénommé "paysage",
qui a la forme d’un rectangle dont le petit côté est
vertical, est, de fait, le plus souvent utilisé pour la représentation
des paysages. On peut distinguer plusieurs façons d’organiser
le cadre photographique pour y mettre en scène les paysages. Ces
types de formats ont été rangés ici dans un tableau
de classement à double entrée mêlant les effets
de cadrage et de point de prise de vue.
Cette typologie rassemble les formats que l’on retrouve le plus fréquemment
dans l’iconographie géographique. Les plus utilisés étaient
les "cadrages proches" au XIXe siècle,
les "cadrages
médians" au début du XXe siècle
et les "cadrages
lointains" dans la deuxième moitié du XXe siècle.
ACTIVITÉ
Consulter
une grille récapitulative des différents types de vues.
On peut s’exercer au maniement de cette grille pour classer d’autres
paysages de l’exposition. On procédera à leur description à l’aide
des critères indiqués dans la grille pour les classer.
Les dernières images de cette série posent un problème de
classement qui mérite discussion.
En utilisant des tirages sur papier de ces photographies ou un logiciel
de traitement d’images, on tentera de modifier le cadrage ou
la perspective de façon à changer le format de certaines images.
La comparaison des différentes modifications apportées à un
même paysage devra conduire à préciser les usages, éventuellement
différents, des divers cadrages ainsi obtenus.
Pour réfléchir à la dimension objective ou subjective
des images, on se demandera quelles précautions techniques
et formelles doivent être prises pour qu’une photographie
puisse être jugée "objective" et qualifiée
de "documentaire". À l’inverse, on se demandera également
comment donner à une image du sentiment, de l’expressivité personnelle,
de la conviction… et ce dans différents contextes et
pour différents types d’images. Chacun pourra constituer
un corpus de quelques images de l’une ou l’autre de ces
deux extrémités et confronter son point de vue avec
d’autres personnes.
On pourra s'appuyer sur les
notions
de studium et
de punctum proposées par Roland Barthes.
texte à consulter
"
Studium et punctum", par Roland Barthes.
On cherchera, pour quelques photographies librement choisies un
studium (c’est-à-dire
le genre auquel chacune appartient et l’usage auquel elle est destinée)
et un
punctum (c’est-à-dire le petit détail
qui accroche l’œil ou qui, éventuellement, "point
le cœur" de la personne qui regarde.
Le montage et l'organisation des images
Une image est rarement isolée. Elle prend tout son sens au sein
d'un ensemble organisé d'images qui se côtoient et se succèdent.
L'"imagement" désigne le fait de sélectionner,
classer, ranger et associer des images devant prendre place dans
le déroulement d’un livre ou d’une projection. Par
extension, le mot désigne aussi le résultat de ces opérations.
Il précise le rôle donné aux images dans la stratégie
de communication.
ACTIVITÉ
Toutes les procédures de l’imagement (sélection, classement,
rangement, mise en page, montage des images) peuvent donner lieu à des
activités pédagogiques visant à faire comprendre que
la polysémie virtuelle des images peut être réduite
et orientée par le contexte dans lequel elles seront données à lire.
À partir de courtes séries d’images comportant des paysages,
on peut suivre la procédure suivante en commençant par une approche
analytique consistant à :
- faire le tri des photographies montrant uniquement, partiellement
ou pas du tout des paysages ;
- classer les paysages en types ;
- ranger les paysages en duos similaires puis opposés ;
- sélectionner ceux qui répondent à un ou plusieurs
critères
précis (thèmes, formats, objets) ;
- ranger les paysages selon un ordre, par exemple du plus naturel au plus
humanisé ou
bien du plus plat au plus montagneux, du plus sec au plus humide, etc. ;
- choisir la vue qui représente le mieux l’ensemble du corpus
de référence et celle qui constitue le meilleur emblème
du lieu ou du pays représenté.
Dans un second temps on proposera de faire "un résumé" de
l’album en forme de parcours (géographique ou intellectuel) en
utilisant le moins possible d’images pour le faire. On comparera ensuite
les solutions obtenues par différentes personnes sur le même exercice
afin de voir ce qui a été communément jugé essentiel
et ce sur quoi les lectures ont été différentes.
On pourra réaliser ce travail par exemple à partir de ces
deux courtes séries :
- Les
sites
et paysages de La Réunion par P.E. Cunier avant 1885.
- L’
album
de 55 photographies prises à Madère avant 1880 par Alphonse de Montherot.
On pourra s’inspirer de la forme d’exposition adoptée
par
Hippolyte Arnoux.
Plusieurs démarches pédagogiques complémentaires peuvent être
mises en place autour de la réalisation d'un album papier ou numérique,
d’une affiche, d'une exposition, d'un portfolio, d'un diaporama à partir
de mini corpus extraits des dossiers et des collections de la Bibliothèque
nationale de France.
Enfin, avec de jeunes élèves, en utilisant un nombre restreint
de paysages d’aspects bien différenciés, on préparera
les esprits à l’imagement par une partie de jeu de "dominos
des paysages".
images à consulter
Les
sites et paysages de La Réunion par P.E. Cunier avant 1885.
Album
de 55 photographies prises à Madère avant 1880 par Alphonse
de Montherot.
Représentation cartographique du canal de Suez illustrée de vingt-sept
vignettes photographiques par Hippolyte
Arnoux.
Reprenant le principe des dominos, ce jeu simple consiste à juxtaposer
des parties d’images qui se ressemblent et, c’est là le principal
intérêt, à justifier les rapprochements opérés.
Ainsi, le lien entre deux images qui se suivent pourrait être : deux
ciels nuageux, deux vallées étroites, deux gros plans, deux bâtiments
blancs, etc. Le gagnant sera celui qui aura, le premier, posé judicieusement
ses paysages (pour faciliter le jeu, le groupe posera lui-même les règles,
au fur et à mesure de sa pratique et de l’apparition de dérives
sans intérêt).
Le rapport texte/image
Parmi les différentes manières d’associer des textes
et des images, les géographes dans leurs publications du XXe siècle
ont principalement décrit ce qui était
visible sur les photographies. Il peut être intéressant
d’interroger les manques et les retenues de leurs discours en
confrontant ce qu’ils ont dit à ce que d’autres auraient
pu dire des mêmes images. Cela permet d'identifier la spécificité de
leurs discours spécialisés.
ACTIVITÉ
Quelles sont les modalités de désignation du visible ?
Après avoir demandé à plusieurs personnes de donner
des titres ou de brefs commentaires à 4 ou 5 images, le travail
consiste ensuite à classer les relations établies entre les
textes et les images en différentes catégories au sein d'une
grille.
On s’attachera d’abord à distinguer les modalités
purement visuelles de la posture de désignation de toutes les autres
postures qui incorporent de l’invisible ou de la subjectivité.
Puis on distinguera les deux postures "personnelles" de la désignation
et de la connotation, des deux postures "artistiques" de l’imagination
et de la rhétorique entre lesquelles sont positionnées les
deux postures "intellectuelles" de l’explication et de
la symbolisation.
Dans l’autre sens on opposera le mode "adulte", ironique,
critique et toujours décalé, de la transposition au mode "infantile" de
l’énumération des choses vues et au mode "spécialiste" de
la sélection qui encadre les deux modes d’appréhension
globale de l’image soit en tant que particularité originale
(par induction) soit en tant que modèle représentatif (par
généralisation). Des exemples précis illustrent
cette terminologie dans le tableau ci-dessous.
éléments à consulter
Vue
de Belo Horizonte
Tableau
des principales modalités icono-graphiques
Le mode de classement est indiqué dans ce tableau de titres portant tous
sur une même photographie de la ville brésilienne de Belo Horizonte.
Après s’être familiarisé à l’utilisation
de tout ou partie (selon la maturité des élèves) de cette
grille d’analyse, on s’exercera à l’appliquer sur
un album constitué au début du XX
e siècle
qui s’y prête fort bien car il comporte des commentaires de chaque
image dont les modalités icono-graphiques ne sont pas standardisées.
On demandera à chaque élève, avant de lire la légende
de l'image,
de donner un titre ou un bref commentaire aux trois ou quatre images qu’il
doit analyser personnellement, puis d’essayer d’énumérer
ce qu’il y voit en
expliquant certains aspects par des causes non apparentes (tectonique, histoire, économie,
culture).
Dans un second temps on lui demandera d’exposer ce qu’il en pense,
ce qu’il imagine et ce qu’il comprend à partir
de cette image, puis de rédiger un texte de commentaire comportant le
plus grand nombre possible de modalités icono-graphiques différentes,
en soulignant celles qui pourraient être d’ordre géographique.
Enfin, chacun comparera son propre texte à celui des archives de la Société de
géographie et mesurera ainsi les écarts existant d’une part
entre un discours spécialisé et un discours personnel, d’autre
part l’écart existant dans la relation aux images à un siècle
d’intervalle.
On pourra, pour finir, rassembler ces images ou toute autre série d'images
dans un Power Point ou les mettre en séquence avec un logiciel de vidéo,
rédiger un texte ou une bande sonore pour accompagner la séquence
d'images. Puis, soumettre le montage, sans le texte ou sans la bande sonore, à d'autres
personnes qui elles-mêmes produiront un texte ou une bande sonore pour
le montage.