L'individu, la personne et le type
par Jean-Marie Baldner et Didier Mendibil
L'exposition présente une grande variété de
portraits qui vont du portrait strictement anthropologique ou ethnographique
au portrait de la personne, en pied ou en buste. Certains ont une vocation
classificatoire, ils se présentent comme témoignages ou documents,
d'autres manifestent d'emblée une empathie avec le modèle
; hommes et femmes ne sont pas photographiés de la même façon.
Portraits de femmes, d'hommes et d'enfants
Dans l'analyse des photographies, on s'intéressera plus particulièrement à la
composition du portrait, individuel ou de groupe, dans ce que les attitudes
ont de stéréotypé, dans ce que la composition et le cadrage
disent du regard différentiel sur l'individu, pas toujours dénué de
voyeurisme, voir d'une mise en scène à l'érotisme à peine
voilé. On procédera par comparaison entre les photographies
de femme, d'homme et d'enfant.
ACTIVITÉ
À partir des photographies précédentes ou d'un
corpus plus large, qualifier chaque photographie, chaque modèle
par un certain nombre d'adjectifs. Les regrouper dans un tableau
pour faire apparaître les ressemblances, les différences.
Les photographies de femmes, d'hommes, d'enfants, les photographies
d'un modèle isolé, d'un petit groupe sollicitent-elles
différemment
les sens ? Cette première approche sera approfondie par l'analyse
de chaque photographie suivie par un regroupement de façon à en
faire ressortir les constantes, les stéréotypes mais aussi
l'intérêt porté à la personne.
Cadrage : cadrage serré, large ; portrait en pied, en buste.
Point de vue : appareil à hauteur d'yeux, plongée, contre-plongée.
Composition : arrière-plan permettant ou non de contextualiser
; lignes créées par le décor, les objets mettant
en évidence les modèles ou certaines parties de leur corps
; hors champ, notamment suggéré par la direction des regards.
Jeux de lumières, d'ombres, notamment sur certaines parties du
corps.
Postures, poses : position du corps (debout, assis, droit, déhanché,
courbé) ; position des bras et des mains ; port de tête
; regard ; objets portés et la façon dont ils construisent
une pose du corps (femme portant une cruche ; homme une arme…)
; vêtements (jeu des drapés couvrant, découvrant
certaines parties du corps), coiffure, bijoux et accessoires.
ACTIVITÉ
Les photographies ci-dessus, de Bidault de Glatigné constituent un
bon exemple des sentiments que peuvent produire ces images, d'autant que
les modèles
font partie des peuples qui ont longtemps hanté l'imaginaire des
Européens. Á partir des légendes des photographies,
rechercher qui est Édouard Joseph Bidault de Glatigné, localiser
les lieux évoqués (Aden, Harrar), analyser les photographies
en recherchant à la fois tous les indices ethnologiques (poses, vêtements,
parures, objets) et les sentiments qu'elles inspirent.
La photographie, représentant une jeune fille somali et
deux jeunes filles gallas, invite à une analyse plus approfondie des
codes (têtes de face, de profil, de trois quart ; corps de face et de
profil ; position des bras…) au regard des conventions de la peinture
de la deuxième moitié du XIX
e siècle,
par exemple dans les tableaux d'Alexandre Cabanel, Dominique Ingres, William
Bouguereau, Jean Léon Gérôme.
Ces éléments peuvent ensuite être
mis en relation avec quelques textes :
textes à consulter Arthur
Rimbaud,
Les Ogadines
Louis
Reybaud,
Les Gallas
On pourra aussi comparer les photographies de Bidault
de Glatigné au portrait que dresse Hugo Pratt du guerrier beni amer
Cush dans
Les Éthiopiques (Paris, Casterman, 1978) qu'il
situe pendant la Première Guerre mondiale.
On terminera cette étude par la rédaction d'une description,
prenant en compte les éléments précédents, à partir
d'une photographie de l'exposition.
Portraits de personnes
Pour les photographes, les sujets pris en photo ne sont-ils que des données
ethnographiques ou bien ont-ils un nom, une histoire personnelle, sociale,
culturelle pour les observateurs ? Quel est le degré d'intérêt
pour l'identité des modèles, pour leur histoire personnelle ?
Quel est le degré d'empathie avant, pendant et éventuellement
après la prise de vue ? L'analyse suppose bien entendu aussi
la prise en compte du devenir de l'image, de sa circulation après
la prise de vue : souvenir, collection personnelle, projection pour une
société savante, album vendu ou exposé, carte postale…
ACTIVITÉ Deux photographes peuvent aider à conduire cette réflexion,
Désiré Charnay et Roland Bonaparte.
images à consulter : Désiré Charnay
textes à consulter
Désiré Charnay,
La reine Jumbe-Souli
Désiré Charnay,
La
princesse Juliette Fiche
images à consulter : Roland Bonaparte
En quoi le fait de préciser le nom et l'âge
des modèles, leur situation matrimoniale, etc. dans la légende
d'une photographie modifie-t-il la démarche anthropologique de
la prise de vue ?
On pourra poursuivre cette recherche à travers l'art contemporain,
par exemple à travers les œuvres de :
-
Pierre Gonnord, notamment les séries
Utòpicos et
Regards.
- Luc Delahaye, notamment les séries : "Portraits" (photographies
prises à Paris en février 1994 dans les cabines Photomaton
du métro), "L'autre", ces différentes séries
sont parues chez Phaidon Press Éditions.
-
Awen Jones : "Awen
Jones prélève et agrandit des
photographies de cartes de séjour à l'échelle du
visage humain ou dissimule des portraits en pied de personnes sans
papiers à l'aide
de calques. Plus l'image est agrandie, plus son objectif initial – l'authentification – se
fait précaire, et inversement, plus l'image est dissimulée,
plus les détails perceptibles (attributs, attitudes...) prennent
sens. Awen Jones pointe ainsi la négation du sujet et de son intériorité." (voir
l'exposition "3 et 3 font...").
- Seydou Keita, voir notamment le volume qui lui est consacré dans
la collection Photo Poche, Paris, Nathan/VUEF, 2001.
- Malik Sidibé,
- Zwelethu Mthethwa, voir notamment l'article
de Raphaël Brunet sur
l'exposition à la
galerie Anne de Villepoix.
On terminera cette étude par la rédaction d'une description,
prenant en compte les éléments précédents, à partir
d'une photographie de l'exposition.
Portraits types
Le portrait type peut s'entendre sous plusieurs sens. Sur le plan
formel, le portrait type est une réponse, en termes de pose,
fonctionnelle, esthétique, sémantique, axiologique, à certaines
catégories mentales du regardeur. Le cadrage, la composition,
la pose du modèle correspondent à des stéréotypes
dont le cavalier ou le guerrier sauvage sont de bonnes illustrations.
Selon le cas, la pose contrainte ou acceptée est méliorative
ou dépréciative, elle est souvent aliénante pour
le sujet retenu comme modèle. Dans un premier temps on recherchera
ces éléments dans le corpus proposé ci-dessous.
Plus que l'esthétique formelle, les photographies des collections
de la Société de géographie ambitionnent
la connaissance et la compréhension de l'être humain et
la typologie selon des caractères morphologiques, ethniques
ou sociaux. Les démarches, les instructions aux voyageurs sont
proches, dans ce domaine, de celles que préconisent les sociétés
d'anthropologie, d'ethnographie et d'ethnologie. Deux démarches
sont possibles dans la volonté scientifique d'épuisement
du sujet, la première, analytique, recherche toutes les occurrences,
la seconde, synthétique, consiste, à partir d'une collection, à établir
un portrait générique.
texte à consulter
Paul
Broca,
Observations
anthropologiques
Dans les descriptions du XIX
e siècle, ces deux méthodes
conduisent quelquefois à l'aporie, car la constitution de la collection
présuppose bien souvent le type, ou, au minimum, une altérité fondatrice.
Plusieurs détours peuvent être imaginés dans l'approche
des portraits de l'exposition, qui sont autant de mises en perspective
et de points de lecture distanciée.
Pour de nombreux auteurs de la deuxième moitié du XIX
e siècle,
la photographie, offrant la similitude, si ce n'est la ressemblance exacte,
au modèle, est l'instrument adapté à la réalisation
de portraits réalistes.
site à consulter
Exposition
Portrais/Visages,
Photographie
et identité sociale
À la suite d'Ernest Appert, Alphonse Bertillon (1853-1914), chef
du service de l'identité de la police judiciaire parisienne, en
croisant les moyens de la photographie, de l'anthropométrie
et de la sociologie, décrit un dispositif codifié d'identification
des individus. La photographie de face et de profil du visage est à la
base d'une fiche signalétique. La classification anthropologique
et ethnographique, édictait, avant l'utilisation de la photographie,
des méthodes strictes de description des types humains et des
sociétés, comme le préconise Louis-Adolphe Bertillon
(1821-1883) dans son
Dictionnaire des sciences anthropologiques,
anatomie, crâniologie, archéologie préhistorique,
ethnographie (mœurs, arts, industrie), démographie, langues,
religions.
Dans une discussion sur "les types indigènes d'Algérie" à la
Société d'anthropologie, Paul Topinard précise ce
que sont ces méthodes.
Enfin, dans un ouvrage de vulgarisation dont les différents chapitres
peuvent être mis en relation avec les collections de photographie
de la Société de géographie, Alphonse Bertillon
met cependant en évidence les objectifs souvent téléologiques
de ces études, en ce sens assez éloignés de ceux
des géographes.
texte à consulter
Adolphe
Bertillon,
Les observations de M. Livingstone
Paul
Topinard,
L'anthropologie biologique
Adolphe
Bertillon,
Barbarie et civilisation
Avec la photographie, prise selon un protocole (photographie de l'individu
en face et profil du visage selon une pose définie en éclairage
si possible neutre et constant) proche de celui que propose en 1890
Alphonse Bertillon dans
La Photographie judiciaire, avec
un appendice sur la classification et l'identification anthropométriques (Paris,
Gauthier-Villars et fils), chaque membre des sociétés
savantes dispose des documents. Les projets menés par Carl Dammann
(1819-1874) pour la Berliner Gesellschaft für Anthropologie, et
les albums de Roland Bonaparte
en constituent des exemples significatifs.
images à consulter
Gallica,
Albums de Roland
Bonaparte
On pourra consulter
Démarches
d'artistes, portraits connus dans
le dossier thématique sur le portrait de l'exposition de la BnF,
avant d'aborder les quelques pistes qui suivent :
- la typologie et la classification
- le fond et la forme
- le contexte.
ACTIVITÉL'objectif est
de mettre en évidence les protocoles de prise de vue ainsi que les
critères des classifications sociales, ethniques, anthropologiques
et d'en montrer la relativité. Comparer les
photographies
de l'exposition avec les types ou les races tels qu'ils sont présentés dans un
manuel de l'époque.
Constituer des mini corpus (au maximum une dizaine de photographies) à partir
des photographies de l'exposition ou des albums publiés sur Gallica.
Pour chaque photographie, établir une fiche signalétique
avec une reproduction de la photographie et les principales caractéristiques
du sujet. Les critères doivent être les mêmes pour
toutes les photographies. Imaginer une typologie, en écartant
a priori toute classification anthropologique trop évidente.
Une première réflexion peut être menée sur
les stéréotypes que l'exposition met en évidence.
Un détour s'avère alors nécessaire par la photographie
d'"étrangers" de la deuxième moitié du
XIX
e et du début du XX
e siècle,
que cette étrangeté soit ethnique ou sociale.
Outre les portraits
de Roland Bonaparte et de Raimund von Stillfried-Ratenicz dans l'exposition,
la comparaison avec quelques exemples comme les types et portraits tunisiens
des cartes postales de Lehnert et Landrock, les portraits de Maurice Vidal,
Portman, de Pascal Sébah, de Félix-Jacques Moulin, etc. (tous
disposant de nombreuses reproductions sur le web), et, dans un autre registre,
les
portraits
de condamnés d'Ernest Apper et d'
Alphonse
Bertillon permet d'esquisser
quelques uns des stéréotypes à l'époque
de la colonisation triomphante, mais aussi de mettre en valeur l'originalité de
certains photographes.
Portrait générique
À la suite de Francis Galton (1822-1991) dans "Composite
Portraits, made by combining those of many different persons into a single
resultant figure" (
Journal
of the Anthropological Institute,
1879, vol. 8, p. 132-144),
Arthur Batut (1846-1918)
tente de mettre en évidence la quintessence d'une population (celle
de sa famille, des habitants de Labruguière, Tarn, d'Arles, de
Vich et de Huesca, Espagne) à partir du repérage des traits
communs qu'on peut y observer. Il propose une méthode
de prise de vue sur une même
plaque de portraits superposés.
sites à consulter
Francis
Galton,
Composite Portraits
L’espace
Photographique Arthur Batut
textes à consulter
Arthur
Batut,
Le
portrait type
Gallica,
Méthode
du portrait type selon Arthur Batut
Dans un premier temps, la méthode d'Arthur Batut peut introduire
un réexamen des photographies de la Société de géographie,
plus particulièrement les
albums
de Roland Bonaparte et,
en lien avec les photographies, une relecture des textes de la fin
du XIX
e et du début du XX
e siècle
(voir notamment les textes proposés sur
Gallica
dans les dossiers sur les voyages en Afrique et en Amérique).
Dans un deuxième temps, on s'intéressera aux artistes contemporains
qui travaillent sur les paradoxes et les apories tant de la personnalité et
de l'individualité que des représentations et des stéréotypes
sociaux et culturels :
- Valérie Belin,
les séries "Femmes noires" et "Modèles"
- J.D.'Okhai Ojeikere,
Hairstyles
-
Marylène Négro,
la
série "Them"
- Aziz et Cucher,
"Dystopia
series"
- Lawick/Müller,
"La folie à deux"
-
Inez van Lamsweerde