Cette disparité est due au statut différent qu’a rencontré cette œuvre mythique de part et d’autre. Traitant les Nuits avec mépris, Ibn al-Nadîm au Xe siècle critiquait leur style relativement simple par rapport aux grands prosateurs classiques médiévaux. Occulté de la littérature officielle durant des siècles, le recueil de contes, qui circulait néanmoins sous forme manuscrite, n’apparaît au grand jour qu’au XIXe siècle avec les premières éditions imprimées. Le rejet du texte par l’élite explique probablement son absence d’illustrations. La peinture dans le monde arabe resta en effet limitée à de très rares textes, parmi les plus brillants de la littérature classique et connut son apogée sous les Abbasides puis sous les Mamelouks aux XIIIe et XIVe siècles. Témoignages d’une littérature écrite dans une langue peu travaillée et parsemée de tournures dialectales, les Nuits ne correspondaient pas au goût des riches commanditaires et furent exclues du champ de l’ornementation. Cette absence persiste encore dans les premières éditions imprimées.
Copiés entre le XVIe et le XVIIIe siècle, plusieurs manuscrits font pourtant figure d’exception. Deux contes rattachés tardivement aux Nuits, Gala’ad et Shimas et Umar al-Nu’man y sont illustrés de façon grossière. Originaire d’Inde, le premier titre circulait de manière indépendante avant d’être ajouté au cycle des Nuits. Il comprend un conte cadre dans lequel s’insèrent 23 histoires. Le second est un long roman épique racontant l’histoire du roi ‘Umar ibn Nu’man et de ses fils. Il appartient à une tradition de romans de chevalerie arabe qui circulèrent de façon orale à partir des Mamelouks et ne sont pas sans rappeler les chansons de geste européennes.
Si la première édition de Galland reste sans illustration, celles qui la suivent, complètes ou partielles, en usent largement. Les Nuits ont fait naître des milliers d’images en Europe et il est difficile d’imaginer les contes sans les représentations de génies, d’objets magiques et les ambiances orientales qui leur sont attachées. Des dessins en noir et blanc souvent dus à des dessinateurs de renom ornent les éditions. Utilisant la gravure sur cuivre au XVIIIe siècle, les techniques se diversifient le siècle suivant : gravures sur bois de bout ou sur acier, lithographies, eaux-fortes. L’émergence de la couleur à la fin du XIXe siècle, entraine l’âge d’or de l’illustration fantastique.
C’est dans la contrefaçon hollandaise de la traduction de Galland parue à la Haye entre 1714 et 1730 qu’apparaissent les premières images.
Les frontispices sont illustrés et de petites vignettes ornent le texte. Comme le graveur ne connait pas bien le monde islamique médiéval, il dépeint les personnages en costumes et décors européens.
Les illustrateurs puisent souvent leurs images dans un Orient fantasmatique qui s’étend du monde arabe jusqu’à la Chine et l’Inde. Les plus grands artistes de l’époque, comme Gustave Doré en 1857 dans La semaine des enfants puis en 1865-1866 dans une édition complète donnent leurs propres interprétations. Les aventures de Sindbad s’y teintent de détails fantastiques.
En Angleterre, l’édition des frères Dalziel, ornée de huit cent quarante-deux gravures est la plus spectaculaire. Sous le dessin d’Arthur Boyd Houghton, l’atmosphère orientale prend des couleurs indiennes tandis que Shéhérazade se transforme en héroine victorienne, prête à défendre la cause des femmes ou à se sacrifier.Cultivant aussi le fantastique, ses soixante-dix toiles à l’huile sont reproduites par calotype.
Parmi les nombreux artistes associés aux Nuits dans l’Angleterre de la fin du siècle, Aubrey Beardsley (1872-1898), s’oppose à l’air du temps avec ses deux scènes d’Ali-Baba. La taille et l’obésité presque monstrueuse du corps d’Ali-Baba sont soulignés par un trait noir épuré.
En 1875, Walter Crane est l’un des premiers à utiliser des lithographies colorées et à créer des images destinées spécifiquement aux enfants. Les albums d’Aladin et d’Ali-Baba se distinguent par leurs tracés bien délimités et leurs couleurs vives. Pour le conte d’Aladin qui se situe en Chine, il s’inspire fortement de l’art chinois et des estampes.
L’émergence de nouvelles techniques permettant d’imprimer en couleurs donne également un nouvel élan à l’illustration des Nuits. C’est l’époque où le livre illustré pour la jeunesse est en plein essor. En Angleterre, Arthur Rackam (1867-1939) ouvre la voie au fantastique avec son « Sindbad le marin » et sert de modèle à de nombreux illustrateurs. La publication de la nouvelle traduction de Mardrus à la fin du siècle renouvelle également le genre. Parue d’abord sans images, cette nouvelle version est éditée entre 1908 et 1911 par Fasquelle et est illustrée de miniatures persanes, indiennes ou turques tirées des collections de la BnF ou du Musée Guimet. Ces images qui n’ont rien à voir avec le recueil, contribuent à faire croire à l’existence d’une iconographie orientale propre aux Nuits.
Enfin, après avoir publié le conte d’Hasan al-Basri en 1918, le peintre Kees Van Dongen, un des pionniers du fauvisme, sort en 1955 le texte complet en tirage limité, illustré de quatre vingt aquarelles, gravées sur bois reflétant le Tout-Paris mondain des années 50.
En marge des éditions illustrées, les contes des Nuits ont parfois servi de source d’inspiration à un certain nombre d‘artistes. Au XIXe siècle, les œuvres s’inscrivent dans le cadre de la peinture orientaliste. Les tableaux évoquent plus un Orient de rêve que des contes bien précis. Ainsi, au Salon de 1824, est exposée une Shéhérazade peinte par Paul-Emile Destouches (1794-1874). La jeune femme ne déroge pas aux lois du genre de l’exotisme et de la sensualité.
Au XXe siècle, plusieurs artistes s’inspirent directement des contes. A ses débuts d’artiste, Paul Klee livre en 1923 un « Sindbad le marin » à l’aquarelle. Marc Chagall réalise une série de lithographies en noir et blanc et en couleurs illustrant quatre contes entre 1945 et 1948 tandis qu’Henri Matisse exécute en 1950 un grand collage intitulé « Les Mille et une nuits »
L’artiste grave en 1986 une série limitée illustrant un choix personnel de contes dans leur traduction anglaise.
Plus originale est l’approche de Nja Mahdaoui (né en1937). A l’opposé de la calligraphie, son œuvre explore le signe abstrait, dénué de tout signifiant et il en orne en 1992 son édition du conte Ali ben Bakkar.
Totalement marginale dans sa production, une série de collages s’inspire des Nuits. Mêlés à des détails d’animaux ou d’objets, des photos de corps féminins dénudés créent un sentiment d’angoisse bien loin des images érotiques occidentales. L’artiste renoue ainsi avec cette parole libre et dérangeante qui a traversé les siècles et les langues et que les censures, anciennes et contemporaines, ont voulu parfois étouffer.